Tamazight
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Tamazight

Portail sur Tamazight
 
AccueilAccueil  PortailPortail  Dernières imagesDernières images  RechercherRechercher  S'enregistrerS'enregistrer  Connexion  
Le Deal du moment : -50%
-50% sur les sacs à dos pour ordinateur ...
Voir le deal
19.99 €

 

 Conséquences de l'émigration dans les montagnes du Rif Central

Aller en bas 
AuteurMessage
Admin
Admin
Admin


Messages : 1406
Date d'inscription : 04/09/2009
Age : 41

Conséquences de l'émigration dans les montagnes du Rif Central Empty
MessageSujet: Conséquences de l'émigration dans les montagnes du Rif Central   Conséquences de l'émigration dans les montagnes du Rif Central EmptyDim 27 Sep - 1:13

Conséquences de l'émigration dans les montagnes du Rif Central

Mohamed LAZAAR

Le développement de l'émigration internationale de travail dans le Rif Central est un phénomène récent. L'intensité et l'ampleur des départs enregistrés à partir des années 60 ne sont, en effet, qu 'une simple réponse sociale à la crise de la campagne rifaine qui n 'a cessé de s'aggraver. L'intégration d'une grande partie de la population active dans le courant migratoire international a eu des conséquences démographiques, économiques et spatiales. Les enquêtes directes effectuées dans la province d'Al-Hoceima ont montré à quel point cette dernière est dépendante des transferts financiers considérables des émigrés. Malheureusement ces transferts sont investis essentiellement dans la construction des maisons et non pas dans les secteurs productifs. Cette orientation des investissements, surtout dans les petits centres administratifs, a déclenché depuis quelques années un mouvement de micro-urbanisation. Mais en raison de la marginalité de cette région dans l'espace économique marocain, les transferts productifs de ces émigrés se déplacent vers les régions urbaines de la côte atlantique.
Depuis les années 1960, la situation socio-économique du Rif Central (province d'Al Hoceima) est fortement tributaire de l'émigration internationale qui s'est développée vers les pôles industriels d'Europe Occidentale. Bien que d'inégale intensité selon les zones, ce processus influe fortement sur l'évolution de la démographie et de l'activité agricole, mais c'est dans le domaine de l'habitat que les apports financiers liés aux revenus migratoires ont eu les conséquences les plus importantes ; le tissu humain de la région en est profondément modifié. Le déplacement des émigrés vers les petits centres administratifs, le financement de constructions nouvelles provoquent ainsi un phénomène de micro-urbanisation, inconnu jusqu'alors dans la région.

LE RIF CENTRAL : UN ESPACE DEFAVORISE TRES DEPENDANT DES REVENUS MIGRATOIRES

Le Rif Central est une région de montagnes très fragmentées, relativement peu élevées, dont le point culminant est le Tidghin (2 156 m.). Les oueds permanents, Nekor et Rhiss, irriguent une partie très limitée de l'espace de la tribu des Bni-Ouriaghel. La surface des plaines et plateaux, à l'exception de la plaine d'Al Hoceima, est infime. Les sols installés sur un substrat schisteux sont très pauvres et ne cessent de se dégrader sous l'effet d'une érosion intense. Les terres cultivables ne représentent que le tiers du territoire de la province. L'agriculture traditionnelle constitue la principale base économique d'une population régionale nombreuse, en croissance continue : 191.500 habitants en 1960, 246.500 en 1971 et 311.200 en 1982, soit une densité de 87 habitants au km2 au dernier recensement. Les ressources économiques non agricoles, comme la pêche, le tourisme, les mines, sont très limitées et souffrent du manque d'infrastructures. Cette situation explique dans une large mesure l'ancienneté du phénomène migratoire vers l'Algérie pendant la période coloniale et l'intégration d'un contingent important de Rifains dans l'armée espagnole pendant la guerre civile de 1936. L'effet de la colonisation espagnole sur la partie Nord du Rif a été dans l'ensemble négatif sur le développement de l'économie locale. La logique du capitalisme espagnol, qui reposait en effet sur l'exploitation des ressources rifaines et la diffusion des produits manufacturés dans ces campagnes, a conduit à une intégration de celles-ci à l'économie de la métropole. Comme il n'entrait pas dans les vues de l'administration coloniale de mettre en place une base industrielle solide capable d'accueillir les paysans privés de terres, la désagrégation des structures tribales traditionnelles, la monétarisation croissante, bien que limitée, de l'économie locale ont conduit à un développement de l'émigration saisonnière vers l'Algérie. D. NOIN évaluait en 1960 le nombre de départs chez les seuls Bni-Ouriaghel à plus de 7 000 personnes par an (D. NOIN 1970).

L'avènement de l'indépendance n'a pas modifié en fait les structures socio-économiques héritées de la période coloniale. Les tensions sociales n'ont pas cessé de s'aggraver. Aucune politique de distribution des terres agricoles n'a été menée en vue de soulager temporairement la situation catastrophique de la majorité des fellahs. L'unification des deux protectorats et l'arrêt de l'émigration vers l'Algérie à la suite de la guerre d'indépendance ont gravement affecté une partie importante de la population qui tirait l'essentiel de ses revenus du commerce et de l'émigration. Malgré les graves incidents du Rif en 1958-1959 (l), révélateur de cette situation alarmante, les interventions de l'Etat pour améliorer la situation économique de la région, sont restées très limitées. Les opérations « labour » et « Touiza » (2) n'ont pas résolu le problème de l'agriculture traditionnelle qui souffre de nombreuses carences structurelles. Le projet DERRO, la « promotion nationale » (3) et la reconstitution des vignobles rifains n'ont pas absorbé le trop-plein des actifs qui augmentent constamment en raison de la poussée démographique.

L'adoption du libéralisme économique par le nouveau régime a eu des effets très graves sur l'accentuation des déséquilibres régionaux, car les principaux projets industriels et agricoles, publics et privés, demeurent centrés sur la côte atlantique où les possibilités de réussite sont mieux assurées. Les régions déshéritées comme le Rif Central n'ont bénéficié d'aucun projet industriel. Cette situation alarmante et la peur du déclenchement d'une crise politique plus grave que la précédente ont incité les autorités à favoriser l'émigration internationale comme moyen de subsistance de la majorité des familles rifaines et comme soupape de sécurité destinée à évacuer le trop plein de la pression sociale.

L'EVOLUTION QUANTITATIVE DE L'EMIGRATION INTERNATIONALE

Commencée au début des années 60, l'émigration rifaine vers les pôles industriels d'Europe Occidentale a évolué progressivement jusqu'en 1968. Le nombre annuel de départs durant cette période est très difficile à cerner en raison du manque de données statistiques. A partir de 1968, l'émigration va connaître une forte croissance qui atteint son maximum en 1973 (2 611 départs), pour diminuer légèrement par la suite, remontant de 1977 à 1979, où le nombre important de départs (1 040, 1 002, 1 043) s'explique par la poursuite du flux migratoire saisonnier vers la France et dans une moindre mesure par les départs vers les pays arabes producteurs de pétrole. Les données statistiques officielles, qui ne tiennent compte du flux légal traduisent largement, malgré leurs insuffisances, cette évolution (tableau 1).

TABLEAU 1 :

L'émigration légale dans la province d'Al Hoceima de 1968 à 1981

Nombre Années | Nombre d'émigrés

1968 ......................239

1969 ......................453

1970 .................. 1 100

1971 ....................1 708

1972 ................... 1 382

1973 ....................2 611

1974 ....................2 131

1975...................... 533

1976.......................689

1977 .................. 1 040

1978....................1 002

1979....................1 043

1980...................... 697

1981.......................935

TOTAL : 15 833

Source : Ministère du Travail, Rabat.

A ces départs légaux, s'ajoute l'émigration clandestine qui s'est développée massivement au cours des années 70. A partir des données officielles, et d'une évaluation du flux clandestin, on peut estimer actuellement le nombre des actifs originaires de la province d'Al Hoceima qui séjournent dans les pays européens et les pays producteurs de pétrole à plus de 30 000, soit approximativement 27 % de la population active, la tribu de Bni-Ouriaghel ayant fourni à elle seule entre 16 000 et 18 000 travailleurs migrants.

Qu'ils soient petits fellahs, khammès (métayers au l/5e), rabaas (métayer au 1/4) ou fkihs (maître d'école coranique), les émigrés ont été orientés principalement vers l'Allemagne Fédérale et la France, en fonction de l'appel suscité par l'arrivée de contrats anonymes en provenance de ces deux pays au cours des années 1960-70. Or le champ migratoire n'a cessé de s'élargir à d'autres pays d'immigration qui ont procédé au recrutement de Rifains, tels la Belgique, l'Espagne et surtout les Pays-Bas où l'augmentation des salaires, l'importance des allocations familiales et les conditions de vie relativement favorables expliquent dans une large mesure la concentration d'un contingent très important de travailleurs originaires du Rif.

Selon nos enquêtes personnelles, 43,5 % des émigrés du Rif Central résident en France, 35,5 % aux Pays-Bas, 9,2 % en Belgique, 6,9 % en Espagne, 2,3 % en Allemagne Fédérale et 2,3 % dans d'autres pays : Etats arabes producteurs de pétrole, mais aussi en Italie et dans les pays Scandinaves...

EMIGRATION OU CULTURE DU HASCHICH ?

Le Rif Central est une région très hétérogène sur le plan géographique et sociologique ; la répartition spatiale de l'émigration reflète ces différences. On distingue trois foyers d'intensité migratoire inégale (voir carte).

Le cercle de Bni-Ouriaghel qui englobe les communes rurales d'Ait Youssef ou Ali, Bni Bouayach, Taourirt, Imrabten, Bni Abdellah, Bni Hadifa, Izmmouren, Rouadi, se caractérise par une forte émigration : plus de 40 % des actifs. Le cercle de Bni Boufrah qui englobe les communes rurales de Snada, Bni Boufrah et Bni Gmil-Mestassa occupe une place intermédiaire entre le premier groupe et celui de Targuist (Ain Ben Abbou, Bni Ammart, Bni Bounsar, Tabarrant, Taghzout, Issa-guen, Ktama, Abdel Ghaia-Souahel) où l'émigration est très faible. L'ancienneté de la tradition migratoire, l'extrême concentration de la population, le choix gouvernemental de Bni-Ouriaghel pour effectuer les recrutements anonymes et les relations familiales très étroites expliquent en partie l'ampleur du phénomène migratoire dans le premier cercle. A Targuist, les départs n'ont commencé qu'après 1963 avec une intensité modérée car le développement de la culture du kif (haschich) assure des revenus considérables aux habitants de ce cercle, précisément, à ceux des communes rurales de Ktama, Issaguen, Abdelghaia et Bni Bounsar, d'où le faible taux de l'émigration dans le cercle en question, à l'exception de Bni Ammart et Ain Ben Abbou. La première compte plus de 1 000 émigrants à l'étranger, la seconde plus de 800, la majorité des départs s'est effectuée dnas les années 70 et à destination de la France. On doit signaler que la culture du kif est devenue depuis peu la culture principale de toutes les communes rurales de Targuist y compris donc celles de Bni Ammart et de Ain Ben abbou et qu'elle se propage dans le cercle voisin Bni Boufrah (Bni-Gmil).

Cette répartition géographique montre que l'espace rural du Rif Central se partage en fait entre deux types de zones à fort revenu : celles où prédominent la culture du haschich et celles affectées par la migration internationale du travail, les unes étant en quelque sorte le négatif des autres.

II ne s'agit pas ici, toutefois, de montrer l'intervention des facteurs sociaux, économiques et politiques dans l'intensité de l'émigration dans certains cercles par rapport aux autres, mais plutôt de décrire et d'expliquer les bouleversements engendrés par l'émigration.

LES REVENUS MIGRATOIRES ET LEUR UTILISATION

Dans ces campagnes qui participent massivement au système migratoire international l'impact financier du travail à l'étranger est considérable.

Tableau n°2 : non visible.

DES TRANSFERTS FINANCIERS TRES SUPERIEURS A LA VALEUR DE LA PRODUCTION AGRICOLE

En augmentation continue depuis les années 70, les transferts des émigrés constituent une source fondamentale de financement du déficit de la balance des paiements du Maroc ; ils dépassent largement les revenus tirés du phosphate et du tourisme ; les remises qui s'élevaient en 1980 à 4,1 milliards Dh contre 1,7 milliards Dh pour le tourisme et 3,0 milliards Dh pour le phosphate, atteignent 13 milliards de Dh en 1986 (1 Dirham = 0,75 F.F.).

Mais, il est très difficile d'en évaluer d'une manière précise le montant global en raison de l'existence des canaux traditionnels et illicites qui fonctionnent régulièrement et ceci en dépit de l'extension des réseaux bancaires. De même, il est très mal aisé de connaître la somme transférée par émigré, car nul ne veut dévoiler le montant exact de ses revenus. Certes, les transferts sont considérables, mais ils diffèrent largement d'un migrant à l'autre, selon le degré de qualification, le pays d'immigration, le salaire perçu, la situation matrimoniale, les dépenses mensuelles. Si la famille réside à l'étranger, les envois baissent nettement.

Les modes de transfert sont divers. Selon nos enquêtes une partie très importante des migrants utilise la voie des mandats postaux, mais l'importance de ce procédé a régressé sensiblement en raison de la progression des réseaux bancaires. Selon certaines données statistiques fournies par la Banque Populaire d'Al Hoceima et les services postaux régionaux, et compte tenu des allocations familiales dont les plus importantes proviennent des Pays-Bas, on peut évaluer le montant global des transferts des émigrés dans la province d'Al-Hoceima à plus de 250 millions de dirhams chaque année. La seule Banque Populaire a transféré, en 1984, 209 millions de dirhams, allocations familiales non comprises. En 1982 la somme était de 300 millions. Cette diminution brutale se retrouve dans le nombre des comptes ouverts, qui tombe de 20 000 en 1983 à 15 000 en 1985. Le chômage, qui touche une part de plus en plus importante des travailleurs rifains en Europe, la forte augmentation du coût de la vie dans les pays d'immigration, l'essor de l'émigration familiale vers les Pays-Bas, mais aussi l'exode des familles de migrants vers d'autres villes marocaines expliquent en partie cette diminution étonnante.

D'après nos enquêtes effectuées auprès d'un échantillon de 135 migrants en 1985, la somme transférée par chaque travailleur est en moyenne de l'ordre de 12 000 Dh, mais les transferts de migrants sont très inégalement répartis. Leur localisation exprime les différents degrés d'intégration de chaque cercle dans le courant migratoire international. Une étude de la répartition des mandats internationaux, pour le premier semestre 1985, reçus par trois services postaux, éloignés les uns des autres, traduit cette réalité. Ainsi le Centre d'Imzouren, bien placé au niveau migratoire, a reçu 1 034 mandats internationaux, contre 129 pour le Centre de Bni Boufrah, qui occupe une position intermédiaire et 69 seulement pour celui d'Issaguen où l'émigration est très faible.

Les remises des émigrés constituent plus de 60 % de l'ensemble des revenus de la province d'Al Hoceima, et dépassent largement les revenus tirés de l'agriculture, (bien qu'il soit difficile de comparer les revenus migratoires et agricoles, en raison de leur instabilité, les uns étant liés à la conjoncture économique du pays d'emploi, les autres aux aléas climatiques). Un autre élément d'incertitude provient de la culture du kif, qui est devenue depuis peu prépondérante dans les communes rurales du Sud-Ouest. Cette production illégale qui assure des revenus élevés est difficilement quantifiable en raison du mode souterrain de commercialisation.

Devant cette situation complexe et en l'absence des données satistiques de base précises, le recours aux déclarations de l'administration, rarement proches de la réalité, reste le seul moyen d'évaluation. Nous avons montré que les transferts annuels des émigrés en 1984 ont atteint plus de 250 millions de Dh ; cette somme importante est 4 fois supérieure aux revenus agricoles officiels de cette même année, d'ailleurs fructueuse, estimés à 63 millions de Dh. Mais en 1985, la même somme est 40 fois supérieure aux revenus agricoles en raison de la sécheresse qui a affecté la production. Cependant selon notre estimation, les revenus tirés de la culture du kif sont considérables et dépassent incontestablement les revenus migratoires, surtout après l'opération qui consiste à transformer le kif en produit à forte teneur : après cette transformation (machmoum) un hectare de kif peut rapporter 92 400 Dh.

UN FORT DEVELOPPEMENT DE LA CONSOMMATION LOCALE

Comme partout, le travailleur émigré, après une période de travail à l'étranger, envoie une partie de ses économies à sa famille, souvent nombreuse. Au début, ces transferts sont consacrés essentiellement à la subsistance et à l'entretien de la famille. Les revenus migratoires constituent une ressource essentielle pour des milliers de foyers dans cette région. Pour certains, ils sont le seul moyen de subsistance, ce qui provoque une dépendance absolue par rapport au travail à l'étranger, et on comprend qu'un changement dans la conjoncture économique des pays d'immigration puisse avoir des effets très graves sur les moyens d'existence des familles restées dans les pays d'origine.

Ce problème se pose avec une grande acuité pour les communes rurales, fortement touchées par l'émigration, de Bni Bouayach, Ait Youssef ou Ali, Taou-rirt, Bni Hadifa, Bni Abdellah, Imrabten, Snada..., car les revenus migratoires y constituent plus de 70 % des ressources locales.

Les dépenses de ces familles d'émigrés (1 000 Dh par mois) s'alignent sur le niveau de la consommation urbaine ; il en résulte un écart très important avec les familles rurales qui n'ont pas de migrant. Une étude récente réalisée chez les Bni Boufrah confirme cette situation : les dépenses courantes de chaque unité de consommation (u.c.) sont de l'ordre de 28 Dh par semaine dans les familles ne comportant pas d'émigrés et de 37 Dh chez les ménages de migrants. Chez ces derniers, les dépenses alimentaires s'accroissent. La consommation de viande qui était limitée à certains événements (aléas de l'élevage ; fêtes religieuses), s'accroît sensiblement surtout au moment du retour annuel de l'émigré et de sa famille. Il en même de même pour le thé, le café et le sucre. Les dépenses d'habillement et d'instruction des enfants augmentent également.

Après la satisfaction des besoins essentiels de la famille, le second poste d'utilisation des revenus réside dans la construction d'une nouvelle maison ou dans l'aménagement de l'ancienne résidence. Ce phénomène, très répandu dans toutes les campagnes à forte intensité migratoire, revêt certaines particularités dans le Rif. Selon l'enquête REMPLOD (1975) réalisée dans le Nord-Est du Maroc, 71 % des émigrés qui effectuent des transferts ont procédé à la construction d'une maison ou à sa réparation. Un peu plus de la moitié (57 %) ont construit un logement neuf et un sur deux, parmi ces derniers, a dû acheter un terrain pour le bâtir. Selon nos enquêtes, effectuées en 1985 auprès d'un échantillon de 135 migrants originaires de la province d'Al Hoceima, 68 % d'entre eux ont consacré une partie très importante de leurs économies à la construction d'une maison où à la réparation de l'ancienne ; beaucoup ont creusé des puits et des citernes individuelles près de leur maison. Mais d'autres investissements importants sont parfois réalisés : achat de camions, de taxis, de cafés, de moulins, de restaurants, voire même d'hôtels, soit dans les petits centres régionaux (à Targuist, sur les 20 hôtels que compte le centre de la petite ville, 7 appartiennent à des émigrés), soit dans les villes du Nord (Tetouan, Tanger...).

Les acquisitions de terrains agricoles pour agrandir l'exploitation familiale, assez fréquentes à la fin des années 60 et au début des années 70, sont pratiquement arrêtées. Actuellement d'après nos enquêtes, un nombre relativement important de migrants ont racheté à leur père des terrains agricoles, mais il s'agit souvent de petites parcelles très dispersées et les sommes investies restent faibles.

Les investissements dans l'élevage s'effectuent au-delà de l'espace régional, à proximité des grands marchés urbains de consommation, principalement à la périphérie de Tanger, Tetouan, Meknès et Larache. Les achats de tracteurs sont rares. L'utilisation croissante de moto-pompes dans certaines communes rurales (Ait Youssef ou Ali, Bni Boufrah, Snada, Imrabten) est due en partie à l'aide financière des migrants. Les projets collectifs dans les douars d'origine se limitent à l'aménagement de sources, de puits, plus rarement d'une piste, et à la construction de mosquées.

Mais une nette tendance aux dépenses obstentatoires s'affirme lors de la célébration des fêtes, avec l'achat de cadeaux, de postes de télévision, voire d'appareils vidéo, et ce même s'il n'y a pas encore d'électricité, dans certains douars ou villages. Plus visible encore est l'évolution du parc automobile. En juillet et en août, on reconnaît sur les routes et sur les pistes, les voitures des émigrés à leurs marques variées (parmi lesquelles abondent les Mercedes) et à leur immatriculation étrangère (Pays-Bas, Belgique, France et Allemagne Fédérale).

DES CONSEQUENCES DEMOGRAPHIQUES SENSIBLES DANS LES SECTEURS DE DEPART

L'une des conséquences les plus nettes de l'émigration dans la province d'Al Hoceima est le ralentissement de la croissance de la population rurale. Celle-ci est passée de 177 936 personnes en 1960 à 224 658 en 1971, soit une augmentation de 26 % contre une augmentation de la population rurale marocaine de l'ordre de 30,4 %. En 1982, la population rurale de la province d'Al Hoceima s'élève à 251 780 habitants, soit une croissance de 12,35 % seulement de 1971 à 1982, contre une évolution nationale de l'ordre de 32,8 %.

Cette situation s'aggrave dans certaines communes rurales fortement touchées par l'émigration. A titre d'exemple, la population de Khamis Imrabten n'a augmenté que de 4,77 % entre 1971 et 1982, celle de Snada régresse de 10 809 en 1971 à 10 515 en 1982.

PYRAMIDE DES ÂGES DE LA COMMUNE RURALE DE SNADA (1982 )

HOMMES

FEMMES

2OO 160 120 80 40

40 8O 120 160 2OO

Source: archives du recensement de la population et de l'hahitat ( sondage 25% ) Direction de la Statistique RABAT

Mais des inégalités notoires méritent d'être signalées au niveau de trois cercles qui constituent la province d'Al Hoceima. L'augmentation de la population entre les deux derniers recensements n'a été que de 1,12 % dans le cercle de Bni Ouria-ghel, au lieu de 4,38 % dans celui de Bni Boufrah, mais de 24,44 % dans le cercle de Targuist. Dans ce dernier, en effet, l'extension de la culture du kif, assurant des revenus très élevés aux paysans de la région, limite l'émigration ; par ailleurs, la précocité des mariages, l'extension de la polygamie et la forte natalité expliquent largement l'augmentation de la population dans le cercle de Targuist par rapport aux deux autres. Enfin l'émigration a modifié profondément la structure par âge et par sexe de la population, en créant un déséquilibre flagrant entre les classes d'âges d'adultes masculins et féminins.

Mais le problème majeur du Rif Central, au niveau démographique, réside actuellement dans l'ampleur de l'exode rural des familles de migrants vers les petits centres régionaux et, plus encore, vers les villes les plus importantes comme Tetouan et Tanger... Le déplacement total (ou presque) de certains douars est un phénomène très visible dans le Rif Central, ce qui enlève une partie de sa valeur à la formule-choc employée par l'équipe REMPLOD en 1975 : « Partir pour rester ».

L'EMIGRATION : UNE ENTRAVE AU DEVELOPPEMENT AGRICOLE

Nous avons vu précédemment que les émigrés consacrent peu de fonds à l'achat de terrains agricoles dans leur douar d'origine en raison de la rareté des vendeurs et de la faible rentabilité de ce type d'investissement dans des parcelles en montagne sèche. Seuls, les émigrés des années 60, en particulier les anciens « khammes » ou « rabâas », ont procédé à l'achat de terrains agricoles, mais avec une perspective d'ascension sociale ; l'acquisition de la terre demeurait, en effet jusqu'à une date récente, le facteur déterminant le rôle social de l'individu dans une société agro-pastorale.

On voit que l'émigration n'a pas abouti à la concentration de la propriété chez les familles de migrants. C'est plutôt l'inverse qui s'est produit, car l'argent gagné à l'étranger a rendu le travail de la terre et toutes les activités qui y sont liées moins nécessaires. Dans les communes de forte migration, les terres qui étaient exploitées autrefois restent actuellement incultes. Il en est de même des petites surfaces irriguées à l'aide de petits canaux ou « seguias ». La production céréalière baisse du fait de la diminution des surfaces cultivées d'une part et de l'évolution des modes d'exploitation — comme on le verra ultérieurement — d'autre part.

L'arboriculture fondée sur l'amandier, le figuier et la vigne, qui occupait une grande place dans l'économie locale, décline fortement. Les rendements diminuent en raison du vieillissement, du manque d'entretien et du non renouvellement des arbres. Cette évolution négative explique en partie la faible part des recettes agricoles dans le revenu global des familles affectées par la migration internationale de travail.

UNE EVOLUTION NEGATIVE DES MODES D'EXPLOITATION COLLECTIFS

Mais le problème le plus grave réside dans la remise en cause de l'exploitation des terres collectives, comme le montre l'exemple très significatif de la commune rurale de Snada. Pour des raisons historiques, celle-ci dispose d'une surface très importante de terres collectives, nommées localement « Boham ». Depuis longtemps, cet espace était exploité par les habitants de trois douars : Ait Aïssa, Ioualhajen et Amsek. Comme dans toutes les terres collectives au Maroc, une distribution s'effectuait tous les trois ou six ans sur une base égalitaire, c'est-à-dire au prorata du nombre de ménages mariés. Avec l'extension de l'émigration familiale vers les pays européens et l'ampleur de l'exode rural vers les villes, on assiste à la remise en question de l'ancien système de répartition de ces terres. En effet, les familles de non migrants refusent d'affecter des terres (« Lghouab ») aux émigrés mariés qui ont quitté le douar. Mais ceux-ci revendiquent toujours leur part, forts de leurs possibilités matérielles et de leur nouvelle position sociale. Ce conflit aboutit actuellement au blocage de la répartition de cet espace agricole collectif ; II en résulte une situation très difficile pour des centaines de familles qui tiraient traditionnellement un parti confortable de ces terrains collectifs.

LES PROGRES DU FAIRE-VALOIR INDIRECT

Le « nzala », faire-valoir indirect, peut être défini comme un type d'association où le propriétaire confie une partie ou la totalité de ses terres de culture à un associé local ou extérieur, contre paiement en nature d'une partie de la récolte. Le « nzal » utilise ses propres moyens de production. Les contrats sont oraux et varient en fonction de la qualité de la terre et des types de culture. Certes, ce type d'association existait auparavant, notamment, chez certains propriétaires comme les « fkihs », les artisans ou les propriétaires qui possédaient des parcelles très éloignées de leur résidence.

Mais la généralisation de l'émigration, l'importance des revenus migratoires, le développement de l'émigration familiale, l'aggravation de l'exode rural vers les villes et l'apparition d'activités non agricoles ont favorisé l'expansion sans précédent du régime « nzala » : en effet, les émigrés qui quittent leurs douars, même définitivement, ne vendent jamais leurs propriétés, mais les mettent en association de culture.

L'étude comparative du phénomène dans les trois cercles de la province d'Al Hoceima, montre que le système de « nzala » connaît une extension massive dans les communes de Bni Ouriaghel et dans une moindre mesure, dans celles du cercle de Bni-Boufrah, donc selon l'intensité de l'émigration. Parfois même, dans certains douars, très touchés par ce phénomène et devant la pénurie de « nzala », une partie très importante des surfaces agricoles n'est plus cultivée, c'est le cas à l'intérieur de la région de Ktama, où la valorisation du kif assure des revenus très élevés et justifie le faible taux de l'émigration rurale.

Le « khammessat » est un système de métayage dans lequel le propriétaire fournit la terre, les grains, la fumure et les animaux de trait, le « khammes » apportant sa force de travail et recevant un cinquième de la récolte. Ce système qui était autrefois très largement connu dans le Rif, a presque totalement disparu. Le déclenchement de l'émigration vers l'Europe a contribué largement à cette forte régression, car les recrutements massifs des années 60 ont touché un grand nombre de « khammes » qui appartenaient aux catégories les plus pauvres de la population rurale. La monétarisation de l'économie locale a incité la masse des « khammes », dont la situation ne cessait de s'aggraver, à rechercher hors de l'agriculture des sources de revenus complémentaires. Ainsi le retour annuel des premiers « khammes » de l'étranger, leurs nouvelles possibilités économiques (voitures, argent, construction d'une nouvelle maison...), ont encouragé ceux qui travaillaient encore au bled à partir à leur tour.

LA SUBVERSION DES VIEUX USAGES COMMUNAUTAIRES

La « touiza » est une forme d'exploitation très ancienne marquée par le travail communautaire effectué en commun, pour les récoltes, pour la réparation des canaux d'irrigation, ou pour le défrichement de la forêt.

Autrefois, presque tous les paysans faisaient appel à une « touiza », car elle leur permettait d'effectuer les travaux dans les meilleurs délais avec peu de dépenses. Mais avec l'émigration à l'étranger, cette forme d'entraide a changé profondément de signification : elle est devenue plus un moyen de démonstration sociale qu'une forme d'entraide. Actuellement, ce sont les émigrés qui font appel de plus en plus à la « touiza », au cours de leur séjour annuel. Ces émigrés, pour montrer leur réussite, consacrent des sommes d'argent très importantes aux repas des personnes recrutées ; ces réjouissances se caractérisent par une surconsommation de produits externes à la région... Par ailleurs, l'émigré n'hésite pas à faire étalage de tous les objets qu'il a ramenés d'Europe : radio, télévision et magnétophone... De ce fait, un simple paysan trouve de grandes difficultés pour faire appel à une « touiza », car cette pratique est devenue très onéreuse.

Autrefois, la majorité des paysans étaient de petits propriétaires exploitants ; le chef de famille assurait régulièrement avec l'aide de ses enfants les travaux de l'exploitation. Ce système est toujours le plus répandu, mais le départ du chef de famille qui dirigeait les travaux agricoles s'est accompagné d'un désintérêt de la part de ses enfants vis-à-vis du travail agricole, socialement dévalorisé. L'émigration a donc profondément modifié le régime d'exploitation, puisqu'elle est à l'origine de l'intensification du régime du « nzala » et qu'elle a contribué à la disparition des « khammes » ; en outre, la « touiza » a été totalement détournée de sa signification originelle.

L'émigration, avec ses conséquences négatives sur l'activité agricole et ses encouragements à l'exode rural, aboutit également à l'augmentation sans précédent des salaires des moissonneurs provenant des autres communes rurales : en 1984, les moissonneurs gagnent entre 30 et 60 Dh par jour, nourris, logés et, parfois, cette valeur est largement dépassée, puisqu'à Bni Hadifa, Snada, Bni Abdellah et Ait Youssef ou Ali, ils peuvent obtenir 70 Dh par jour. Le travail à l'heure vient d'être introduit très récemment (depuis 1986) sous l'influence des émigrés : au cours de la campagne agricole exceptionnelle 1985-1986, comme la moisson coïncidait avec le mois de Ramadan et devant la raréfaction de la main-d'œuvre pendant cette période de pointe, les moissonneurs ont exigé et obtenu d'être payés à l'heure sur un salaire variant de 8 à 10 Dh, plus les repas du soir. Certains moissonneurs ont pu, ainsi, gagner plus de 150 Dh par jour. Cependant, devant l'impossibilité de recourir au travail salarié, de nombreux paysans ont perdu une partie de leur récolte, d'où la tendance accélérée à l'abandon des cultures.

TRANSFORMATIONS DE L'HABITAT RURAL ET PROGRES DE L'URBANISATION

Construire une nouvelle maison ou aménager l'ancienne constitue le premier poste d'utilisation des revenus migratoires après l'entretien de la famille. La maison de l'émigré, dans le paysage rural, traduit profondément, par ses matériaux de construction, son aspect architectural et son contenu, l'élément majeur de la réussite et de la nouvelle différenciation sociale. Ce type de maison, qui marque nettement l'espace, se localise surtout dans les communes de forte intensité migratoire et dans les zones du Rif, car les revenus de cette culture ont permis aussi aux paysans d'améliorer leur habitat.

Globalement, les constructions récentes des émigrés, même si elles conservent généralement le plan traditionnel, présentent des aspects très différents. L'utilisation du ciment au détriment de la terre est le premier signe de mutation de l'habitat rural. Les maisons adoptent la forme d'un rectangle, ou d'un cube dans les communes de l'Est et du Nord, alors qu'elles se caractérisaient par un toit à double pente à l'Ouest. Mais cette dernière forme, malgré son adaptation au milieu physique, est en régression devant l'extension du toit en terrasse, car l'utilisation du ciment et des piliers en béton armé ont permis aux fellahs les plus riches de la région de Ktama de construire des maisons à étage, comportant parfois deux ou trois niveaux surmontés d'une terrasse.

Dans toutes les maisons neuves, le nombre des pièces est plus élevé que dans l'habitat traditionnel. Leur fonction se spécialise : une pièce est consacrée aux parents, une aux amis et les autres aux jeunes enfants... ; la réservation d'un espace réduit pour la cuisine s'impose peu à peu. Dans certaines maisons, existent maintenant des toilettes. Les ouvertures des fenêtres s'agrandissent, l'utilisation de gros portails en fer forgé se répand. Les propriétaires n'hésitent pas à construire une pièce, voire une maison supplémentaire contre le mur d'enclos dès que leurs disponibilités matérielles le leur permettent. Ce local est réservé à l'installation du four traditionnel et du bétail s'il y a lieu. A l'intérieur des maisons, les murs sont souvent peints et décorés ; l'utilisation de la mosaïque se diffuse. Les constructions des maisons à un étage, parfois deux avec un garage au rez-de-chaussée sont très répandues, en particulier sur l'axe routier qui relie la ville d'Al Hoceima à Bni Bouayach, plus précisément à partir du Centre administratif (Ajdir) jusqu'au douar Vienty.

Partout, l'habitat rural évolue vers un modèle urbain. Pour bâtir du neuf, on consacre des sommes qui vont de 15 000 à 50 000 dirhams. Mais on peut aller bien au-delà si le terrain se trouve dans l'un de ces petits centres qui constituent les lieux privilégiés des investissements immobiliers des émigrés. Ce phénomène accentue les différences observées entre les zones de migration. A l'Est, l'habitat se déplace vers les routes ou vers les chefs-lieux administratifs (Imzouren, Bni Bouayach, Ahad Tamassint, Bni Hadifa, Rouadi, Targuist...) ; par contre, dans la région de Ktama, où l'émigration est très faible, la tendance à la micro-urbanisation est presque nulle. Malgré le déclenchement récent de la construction, l'habitat demeure groupé dans le cadre du douar, car les fellahs conscients de la haute valeur commerciale de leurs récoltes veulent pouvoir les surveiller.

Les structures socio-économiques qui ont caractérisé le Rif Central avant l'avènement des Espagnols expliquent l'absence d'une tradition urbaine dans cet espace considéré, jusqu'à une date récente, comme faisant partie du « bled Siba » (région échappant traditionnellement au contrôle du pouvoir central). La naissance des villes dans le Rif Central dérive des actions de la colonisation espagnole ; ainsi fut fondé Al Hoceima sur la côte méditerranéenne en 1925. L'Etat colonial, conscient du rôle politique et économique des souks, les avait placés à proximité des postes militaires desservis par des routes ou des pistes (Issaguen, Targuist, Bni Hadifa, Bni Abdellah, Ajdir, Bni Bouayach, Bni Boufrah, Rouadi...). Ces souks exerçaient la double fonction de marchés, de souks hebdomadaires et de chefs-lieux administratifs. Certains d'entre eux, de faible importance jusqu'à une date récente, ont connu une croissance spectaculaire depuis les années 70. C'est le cas d'Imzouren qui ne comptait que quelques centaines d'habitants en 1970 et qui en abrite plus de 12 000 actuellement ; le centre de Bni Bouayach groupe aujourd'hui 4 000 habitants, Bni Hadifa et Rouadi plus de 1 500 habitants, Targuist plus de 4 000 habitants.

Le développement spectaculaire de ces souks est lié incontestablement à l'émigration internationale car la décennie 70 marque un glissement sans précédent des émigrés vers les petits centres qui ont bénéficié aussi d'investissements publics plus ou moins importants (collèges, lycées, postes, hôpitaux, administrations). Selon nos enquêtes, plus de 80 % des maisons construites à Bni Hadifa appartiennent aux familles des émigrés. Le dépouillement des archives des autorisations de construction nous a permis de recenser plus de 200 maisons neuves bâties entre 1970 et 1985. Une partie très importante de ces constructions a été réalisée dans des secteurs où il n'existe ni voirie, ni réseaux d'égoûts, ni eau potable. Bni Hadifa ne comptait, il y a dix ans, qu'une dizaine de boutiques, édifiées avec des matériaux locaux ; à l'exception du lundi, jour du souk, les boutiques restaient fermées toute la semaine. Actuellement, on dénombre plus de 80 boutiques et 21 cafés de type moderne qui fonctionnent d'une manière permanente ; il faut noter aussi une pharmacie, une boulangerie, un collège, une poste, un hôtel et un hôpital ; des menuisiers, des mécaniciens et un forgeron se sont installés. A Targuist, dans les quartiers les plus récents de « Boutoual et Eddaouahi », plus de 75 % des maisons appartiennent aux émigrés issus des communes limitrophes (Bni Ammart, Bni Bounsar et Ain Ben Abbou). Le nombre de ménages fixés à Targuist est passé de 426 en 1971 à 736 en 1982, soit un accroissement annuel de 4,2 %. Dans ce même centre, toutes les maisons sont construites en béton armé, avec un ou deux étages, le rez-de-chaussée étant souvent réservé au garage. Pour 178 logements occupés, 68 restent vacants, (90 % d'entre eux bénéficient d'équipement notables : eau, électricité, w.c, douche...) et 20 sont inachevés. Cette forte proportion de logements vides s'explique par le nombre d'émigrés ayant emmené leur famille à l'étranger, mais aussi par la fréquence de ceux qui ont émigré, mais qui ont laissé leur famille à la campagne.

Targuist est un centre en croissance continue. Les autorités administratives ont élaboré des plans d'aménagement et elles orientent les nouvelles constructions vers de nouveaux quartiers. Cette fièvre de construction aboutit à la concentration d'un nombre très important d'artisans, de menuisiers, forgerons, électriciens dont la plupart ont ouvert leur atelier dans les nouveaux quartiers (« Eddaouahi »). Actuellement, on peut dire que Targuist est une véritable petite ville. On y dénombre plus de quarante cafés, une centaine de boutiques de détail, un nombre non négligeable de commerçants en gros qui s'approvisionnent directement à Casablanca, à Fès et à Tetouan, deux banques, un lycée, une gendarmerie, une poste, une pharmacie, des fours, un établissement de bains et une vingtaine d'hôtels. Très caractéristique est l'apparition de boutiques spécialisées dans la vente de vêtements et d'équipements ménagers.

Le développement des constructions neuves depuis 1970 a provoqué une augmentation considérable des prix des matériaux et surtout des terrains à bâtir dans les chefs-lieux administratifs. Ainsi, le prix du m2 varie à Targuist entre 120 et 170 Dh ; à Bni Hadifa de 80 à 300 Dh. Cependant, à Imzouren, le prix du m2 se situe entre 60 et 500 Dh selon la localisation des parcelles ; il peut atteindre le chiffre stupéfiant de 2 500 Dh le m2 dans le « Centre-ville ».

Les salaires journaliers des maçons et des ouvriers ont connu également une forte augmentation et sont compris entre 50 et 70 Dh pour les premiers, 20 et 30 Dh pour les seconds.

En raison des faibles potentialités de l'économie locale et en l'absence d'une politique de développement régional, une partie croissante des transferts des émigrés est drainée à l'extérieur du Rif, pour les régions les plus favorisées du Maroc (côte atlantique de Tanger à Casablanca). Ce phénomène prive la province d'Al Hoceima d'un revenu très important qui aurait pu permettre le financement des projets de retour ; nombre d'émigrés, touchés par la crise et le chômage en Europe, ne peuvent rentrer chez eux, en raison des difficultés de la réinsertion dans l'économie montagnarde. Ainsi se perpétue l'émigration et se renforce la double dépendance du Rif Central vis-à-vis des pays européens et des régions marocaines les plus favorisées.

Notes et références bibliographiques

(1) Les « événements du Rif » désignent la révolte des paysans rifains protestant contre leur misère dans les premières années de l'indépendance (fin 1958-début 1959). La répression fit plusieurs milliers de victimes, dont plus de 2 000 dans la seule tribu des Béni Ouriaghel.

(2) L'opération « labour » est un programme national lancé en 1957 par le gouvernement marocain et visant à faire labourer au tracteur les terres en cultures sèches des petits paysans, afin d'augmenter la production agricole. L'opération « touiza » (entraide) fut décidée par le Roi pour permettre aux paysans de réaliser la campagne agricole 1981-82 dans les meilleures conditions.

(3) Le programme DERRO (Développement économique rural du Rif occidental) a pour but de préserver ou de restaurer le potentiel agricole de cette région montagneuse par des travaux de reboisement et de protection des sols.

BOSSARD(R.) : Mouvements migratoires dans le Rif Oriental : le travail en Europe, aspect contemporain majeur des migrations dans la province de Nador. Thèse pour le Doctorat de 3e cycle, Université de Montpellier, 1979, 213 pages.

LAZA AR ( M.) : Les conséquences de l'émigration internationale de travail sur le milieu rural dans la

province d'AI-Hoceima.

Rapport de D.E.A. Université de Poitiers, 1985, 46 pages.

MAURER (G.) : Les paysans du Haut-Rif. Acta Géographica n° 3, 1970, Paris, pp. 139-142.

MIGR1NTER : Les travailleurs émigrés et le changement urbain des pays d'origine. Maghreb— Proche-Orient Pays Tropicaux. Actes de la Table Ronde 14-15 mai 1982 Poitiers, Université de Poitiers Etudes méditerranéennes, 1983, fascicule 4, 137 pages.

NOIN (D.) : La population rurale du Maroc. Publication de l'Université de Rouen, PUF, 1970 tome 1 : 279 pages, tome 2 : 340 pages.

PASCON (P.) et autres : Les béni bou frah : essai d'écologie sociale d'une vallée rifaine (Maroc). Rabat 1983, 298 pages.

REMPLOD : « Partir pour rester », incidence de l'émigration ouvrière sur la campagne marocaine. l.N.S.A. 1977.

SAKROUHI (A.) : La logique économique paysanne et la logique du capital : étude de la dynamique sociale dans une région périphérique : cas du Rif de 1860 à 1980. Thèse de 3e cycle, Toulouse 1982.

TROIN (J.F.) : Les Souks marocains, marchés ruraux et organisation de l'espace dans la moitié nord du Maroc. Aix en Provence 1975, EDISUD, tome I : 503 pages, tome 2 : cartes.

Notes et références bibliographiques

Les événements du Rif désignent la révolte des paysans rifains protestant contre leur misère dans les premières années de indépendance fin 1958-début 1959 La répression fit plusieurs milliers de victimes dont plus de ?000 dans la seule tribu des Béni Ouriaghel opération labour est un programme national lancé en 1957 par le gouvernement marocain et visant faire labourer au tracteur les terres en cultures sèches des petits paysans afin augmenter la production agricole opération touiza entraide fut décidée par le Roi pour permettre aux paysans de réaliser la campagne agricole 1981-82 dans les meilleures conditions Le programme DERRO Développement économique rural du Rif occidental pour but de préserver ou de restaurer le potentiel agricole de cette région montagneuse par des travaux de reboi sement et de protection des sols BOSSARD(R- Mouvements migratoires dans le Ri/Oriental le travail en Europe aspect contem porain majeur des migrations dans la province de dor Thèse pour le Doctorat de 3e cycle Univer sité de Montpellier 1979 213 pages LAZAAR M. Les conséquences de émigration internationale clé travail sur le milieu rural dans la province I- Hoceima Rapport de D.E.A Université de Poitiers 1985 46 pages MAURER G. Les paysans du Haut-Rif Acta Géographica no 1970 Paris pp 139-142 MIGRINTER Les travailleurs émigrés le changement urbain des pays origine Maghreb Pro che-Orient Pays Tropicaux Actes de la Table Ronde 14-15 mai 1982 Poitiers Université de Poitiers Etudes méditerranéennes 1983 fascicule 137 pages NOIN D. La population rurale du Maroc Publication de Université de Rouen PUF 1970 tome 279 pages tome 340 pages PASCON P. et autres Les heni hou jrah essai écologie sociale une vallée rifame Maroc Rabat 1983 298 pages REM PLOD Partir pour rester incidence de émigration ouvrière sur la campagne marocaine I.N.S.A 1977 SAK.ROUH1 A. La logique économique paysanne et la logique du capital élude de la dynamique sociale dans une région périphérique cas du Rif de i860 1980 Thèse de 3e cycle Toulouse 1982 IN J.F. Les Souks marocains marchés ruraux et organisation de espace dans la moitié nord du Maroc Aix en Provence 1975 EDISUD tome 503 pages tome cartes

source : Revue européenne de migrations internationales, Année 1987, Volume , Numéro 1
Revenir en haut Aller en bas
https://tamazight.forumactif.com
 
Conséquences de l'émigration dans les montagnes du Rif Central
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» La situation linguistique dans le massif central de l'Aures
» Prospection d'archéologie médiévale dans la vallée de Ait Boufrah (Rif central) Premiers résultats
» Quel peuplement dans l'Adrar des Iforas (Mali) et dans l'Aïr (Niger) depuis l'apparition des chars ?
» El Rif y el poder central: Una perspectiva histórica
» Dictionnaire Tamazight-Français (Parlers du Maroc Central)

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Tamazight :: Général :: Société-
Sauter vers: