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 REGARD SUR LE PRINTEMPS KABYLE: Témoignage et réflexions d’un acteur - observateur.

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REGARD SUR LE PRINTEMPS KABYLE: Témoignage et réflexions d’un acteur - observateur. Empty
MessageSujet: REGARD SUR LE PRINTEMPS KABYLE: Témoignage et réflexions d’un acteur - observateur.   REGARD SUR LE PRINTEMPS KABYLE: Témoignage et réflexions d’un acteur - observateur. EmptySam 8 Mai - 7:11

par Salem CHAKER [1]

Article repris avec l’autorisation de l’auteur, Salem Chaker.

Il est paru dans : Avril 80, insurgés et officiels du pouvoir racontent le "Printemps berbère", Alger, Editions Kou-kou, avril 2010.


[Le genre "témoignage" est difficile, surtout 30 ans après les faits. Néanmoins, on me permettra de préciser que j’ai généralement une bonne mémoire et que, surtout, j’ai très régulièrement écrit et publié depuis 1980 des documents et analyses sur ces évènements, publications qui constituent autant de repères et de points de vérification. Plusieurs de ces textes comportent d’ailleurs des annexes factuelles très précises, parues pour certaines d’entre elles, il y a plus de 25 ans. Je ne peux bien sûr garantir l’exactitude littérale des propos prêtés ici à certains protagonistes importants, mais je peux cependant en certifier l’exactitude quant au fond. Par ailleurs, je fais allusion à un certain nombre de documents et courriers : j’en détiens bien sûr tous les originaux quand j’en suis l’auteur ou des copies dans les autres cas.]
*

Le "Printemps berbère" de 1980 a été un évènement considérable dans mon parcours personnel. Il a influencé, voire déterminé, mon positionnement et mes analyses ultérieures et il demeure un repère essentiel dans ma vie professionnelle, intellectuelle et politique : pour moi, il y a véritablement un avant et un après 1980.

Un parcours personnel spécifique

Dans l’ensemble de la militance berbère kabyle, que je fréquentais déjà bien avant 1980, mon itinéraire personnel était sans doute assez singulier. Enfant d’une vieille émigration familiale kabyle en France (où je suis né), le retour en Algérie en 1963 avait été un véritable "choc linguistique" : je découvrais brutalement que la majorité des Algériens parlaient une autre langue que celle de ma famille et je fus confronté, comme toute une génération de Kabyles "descendus" à Alger, aux premières étapes d’une politique d’arabisation agressive et clairement anti-berbère. Cette circonstance a été déterminante, à la fois pour mon engagement en faveur de la langue berbère ‒ dès mon adolescence, j’avais décidé que je serai linguiste et consacrerai ma vie à la langue berbère ‒ mais aussi pour ce que j’appellerai ma "réimplantation sociale kabyle" : dans les années 1963 à 1970, je tissais des liens d’amitiés ou de camaraderie durables avec de nombreux Kabyles d’Alger, confrontés eux aussi à ce "choc linguistique", même si leur cheminement avait été différent – ils arrivaient de Kabylie, je rentrais de France. Beaucoup deviendront des acteurs de premier plan du mouvement revendicatif berbère kabyle ou des chercheurs de haut niveau dans le domaine berbère [2]. Nombre d’entre eux étaient déjà proches, pour les plus âgés, ou se rapprocheront plus tard du FFS qui, à l’époque, était le parti d’opposition (clandestin) en position d’hégémonie en Kabylie. Pour ce qui me concerne, mon parcours fut plus "intellectuel", plus "littéraire" aussi [3], et je tenais absolument à acquérir une formation universitaire de nature à légitimer mon travail sur la langue berbère. C’est à cette période (à partir de 1965) que j’ai commencé à fréquenter durablement Mouloud Mammeri, qui m’accordait un parrainage bienveillant, m’orientait dans mes lectures et me conseillait pour mes études. Alors que j’étais encore lycéen, je suivais avec une poignée de camarades [4] le cours de langue berbère qu’il avait été autorisé [5] à assurer à la Faculté des Lettres d’Alger à partir d’octobre 1965. Je fréquentais aussi assidûment la Bibliothèque nationale et certaines bibliothèques municipales dont la documentation berbérisante était à l’époque encore très riche.

Après une année de "Propédeutique" à la Faculté des Lettres d’Alger (1968), je profitais d’une bourse d’une fondation française pour repartir en France (Paris puis Aix-en-Provence) poursuivre des études en linguistique générale et en berbère, chose évidemment impossible à l’époque en Algérie. Je suis rentré à Alger, après avoir soutenu ma thèse de 3e cycle sur le verbe kabyle [6], pour commencer une carrière d’enseignant de linguistique générale à la Faculté des Lettres d’Alger (octobre 1973). Au cours de cette période de formation universitaire, je continuais à fréquenter de façon sporadique la "militance berbère", à Paris comme à Alger, dans toutes ses composantes, culturelle et intellectuelle (M. Mammeri, Taos Amrouche…), ou plus engagée sur le terrain politique (milieux proches du FFS, Académie berbère, groupes étudiants kabyles à Alger).

Durant mon exercice à l’université d’Alger, bien avant 1980, j’ai, à de nombreuses reprises, toujours en concertation avec M. Mammeri et avec le relais attentif de Youcef Nacib [7], proposé l’intégration d’enseignements de berbère à l’Université. On trouvera un rappel sommaire des nombreuses démarches que j’ai menées en ce sens dans mon article paru dans Les Temps Modernes (1982) ou dans la première édition de mon Berbères aujourd’hui/Imazighen ass-a [8]. A chaque fois, nous nous sommes heurtés à une fin de non recevoir. A l’époque régnait sans partage l’idéologie arabo-islamique du FLN, en particulier à travers les positions de sa Commission Culture totalement contrôlée par les arabisants de formation moyen-orientale, acquis aux idéaux de l’arabisme. Pour eux, le berbère n’était qu’un obstacle et un danger pour l’unité nationale, unité qui ne pouvait être parachevée
qu’avec la disparition du berbère.

Cette phase aussi sera décisive pour la suite, pour ma perception du contexte global algérien et pour mon positionnement dans le "Printemps berbère". Car après la disparition du cours de M. Mammeri (1973), le refus tenace de toute ouverture au berbère dans l’Université, les, relances successives de la politique d’arabisation ‒ à l’Université comme dans la société globale ‒, le rejet de la dimension berbère dans la fameuse Charte nationale de 1976, les procès préfabriqués et autres faits de répression anti-berbère (1974, 1976, 1977, 1978), dessinaient une configuration de fermeture absolue et d’anti-berbérisme doctrinal et institutionnel. Rappelons également qu’à l’époque régnait une atmosphère de terreur induite par l’omniprésence (réelle ou supposée) de la police politique du régime (la Sécurité Militaire) et le quadrillage de la société et des organisations par le parti unique FLN.

La création de l’université de Tizi-Ouzou : un vent nouveau

L’ouverture en 1978 d’un Centre Universitaire à Tizi-Ouzou, qui s’inscrivait dans un plan de désengorgement de l’Université d’Alger, allait créer une situation nouvelle, sans doute tout à fait imprévue pour les décideurs de l’époque. La concentration en Kabylie même d’une population d’universitaires et d’étudiants, quasiment tous originaires de la région, favorisa d’emblée un climat de contestation ; d’autant que beaucoup de ces jeunes universitaires, qui rentraient de France après une thèse, étaient très politisés, avaient des expériences d’engagement militant dans le mouvement culturel berbère en France et/ou dans les partis politiques de l’opposition clandestine (FFS, PRS, extrême-Gauche…). On retrouvera des informations assez précises sur cette atmosphère de "bouillonnement" qui se met en place dès la première année d’existence du CUTO dans le "Journal des événements de Kabylie" [9] de Rachid Chaker.

Dès l’année 1979, le contact est établi entre les groupes actifs de l’université de Tizi-Ouzou et moi-même, par l’intermédiaire de mon frère Rachid et d’autres enseignants "berbéristes" que je connaissais de longue date, et, dans un second temps, par l’intermédiaire de Saïd Sadi. A l’époque, j’assurais un séminaire de recherche régulier au CRAPE (Alger), où j’étais chercheur contractuel et disposais d’un bureau personnel ; je pouvais donc recevoir aisément et relativement discrètement les représentants de la communauté universitaire de Tizi-Ouzou. Durant toute cette période, le CRAPE fut d’ailleurs l’un des principaux lieux de rencontre et de contact de la mouvance "berbériste" à Alger, continuant ainsi une "tradition" commencée dès le début de la décennie 1970 autour de M. Mammeri. Pendant cette même année 1979, à partir de juin, j’ai pris les premiers contacts formels avec la direction du Centre universitaire de Tizi-Ouzou. En octobre, je fus reçu, en compagnie de Mouloud Mammeri, par le recteur Arab, le rendez-vous avait été pris par mon frère Rachid ; j’eu également plusieurs entrevues avec ses vice-recteurs, toujours par l’intermédiaire de Rachid qui avait de bonnes relations avec eux. Par l’entremise de Saïd Sadi, je fis la connaissance de feu Rabah Stambouli, qui, je crois, dirigeait alors le département d’arabe et semblait être l’un des "hommes forts" du Centre universitaire. A tous et à chaque fois, j’ai proposé la création d’un enseignement de langue berbère et fait part de mon souhait d’être affecté à Tizi-Ouzou. Le recteur tint des propos très évasifs et "bottera en touche" en renvoyant toute décision au ministère… Nous étions donc revenus à la "case départ", telle que je l’avais expérimentée à l’université d’Alger. En revanche, même si mon impression première n’avait pas été très bonne car je l’avais trouvé trop enflammé et faisant trop de promesses, je dois témoigner que R. Stambouli s’était sérieusement engagé dans cette perspective qui, selon ma perception évidemment subjective, semblait lui tenir à cœur. En tout cas, je pense qu’il a fait, à son niveau et avec les moyens dont il disposait, ce qui était à sa portée pour débloquer la situation. Mais manifestement les temps n’étaient pas mûrs et le système était encore figé dans ses certitudes anti-berbères.

Lorsque survient l’incident du 10 mars 1980, avec l’interception du véhicule de Mouloud Mammeri qui se rendait à l’Université de Tizi-Ouzou pour y donner une conférence sur "la poésie kabyle ancienne" [10] à l’invitation d’un collectif étudiant, la situation locale était donc déjà tendue et le centre universitaire était un "foyer d’agitation" depuis plus d’une année. En fait, Mammeri avait reçu la veille un appel, très confus, apparemment de la direction de l’université, lui demandant de renoncer à son déplacement. A l’époque, Mammeri et moi étions très proches et nous nous voyions tous les jours au CRAPE ; il s’en était ouvert à moi et m’avait fait part de sa grande perplexité. Le 10 au matin, n’ayant eu aucune notification officielle des instances de l’université, il décida de se rendre à Tizi-Ouzou et de répondre à l’invitation des étudiants. Nous étions trois dans la voiture de Mammeri (une Peugeot 204 d’un âge respectable), le chauffeur du CRAPE, Oulaïd, Mammeri et moi-même. L’interception par un barrage de police eut lieu, en fin de matinée, à Draa-Ben Khedda, une dizaine de Km avant d’arriver à Tizi-Ouzou. Nous fûmes escortés jusqu’à la wilaya où M. Mammeri fut reçu seul par le wali. A son retour à notre véhicule garé à l’intérieur de la wilaya, M. Mammeri nous annonça que le wali lui avait signifié l’interdiction de sa conférence et lui demandait de repartir sur Alger. Nous eûmes alors un échange rapide et, sur ma proposition, nous décidâmes de nous rendre sur le campus universitaire pour informer de la situation la direction de l’université et le collectif des étudiants. Si mes souvenirs sont bons, l’entrevue avec les responsables universitaires fut rapide et les représentants étudiants qui étaient présents ou dans les parages immédiats, furent immédiatement informés des derniers développements. Nous repartîmes pour Alger sans autre incident.

Le lendemain eut lieu la première manifestation publique dans les rues de Tizi-Ouzou pour dénoncer l’interdiction de la conférence de M. Mammeri. Commençait alors le "Printemps berbère" de 1980, avec ses quatre mois de manifestations, grèves, occupations d’usines, affrontements et, bien sûr, l’assaut donné le 20 avril par les forces de l’ordre à l’université occupée et la vague d’arrestations qui s’en suivit. D’hystérie anti-kabyle aussi de la presse officielle algérienne, qui dénonçait pêle-mêle le "séparatisme", la "contre-révolution" et les "ingérences de l’impérialisme et du néo-colonialisme", voire les "agissements des services spéciaux étrangers", visant à porter atteinte à l’unité de la nation… Mammeri eut droit, on le sait, à son lot d’injures et d’insanités.

Une configuration inédite


Mais ce déchaînement médiatique, les diatribes contre les "ennemis de la Révolution", les arrestations, étaient des phénomènes relativement "classiques" pour notre génération et ne nous surprenaient pas : nous avions pu les connaître déjà pendant toute la décennie 1970, sous le régime de Boumediene. Et, pour les plus vieux d’entre nous, entre 1963 et 1965, lorsque la presse et la justice aux ordres de Ben Bella et ses alliés d’alors se déchaînaient contre l’insurrection du FFS en Kabylie. Mais deux éléments essentiels, tout à fait inédits et qui constituent une véritable rupture, vont caractériser le "Printemps berbère" :
‒ L’écho international des évènements ;
‒ L’irruption dans la contestation de la société civile à travers une mobilisation de masse.

Jusque-là, l’Algérie ’révolutionnaire’ avait réussi ce tour de force de museler toute opposition, de pratiquer la répression structurelle de toute contestation, de procéder à des arrestations et détentions extra-judiciaires à grande échelle, de pratiquer régulièrement la torture et les exécutions sommaires, la liquidation physique des opposants, sans que quasiment jamais la presse internationale et les organisations de défense des droits de l’homme ne se saisissent des cas. Jusqu’en 1980, Amnesty International, par exemple, ne connaissait qu’un seul détenu politique en Algérie : l’ancien président Ahmed Ben Bella ! Alors qu’ils ont été des milliers à avoir été détenus arbitrairement, à avoir été torturés, entre 1962 et 1980 : les militants du FFS d’Aït-Ahmed à partir de 1963, ceux du PRS de Mohammed Boudiaf, les communistes du PAGS et autres marxistes après le coup d’Etat de Boumediene (19 juin 1965), les "berbéristes" des années 1970…

Deux ressorts fondamentaux ont été utilisés par l’appareil d’Etat algérien pour "réprimer en silence" pendant deux décennies : la mise sous tutelle immédiate et totale de l’appareil judicaire, dès l’indépendance ; l’exploitation systématique de l’image "révolutionnaire" de l’Algérie auprès des relais d’opinion internationaux. La presse et la Gauche françaises, notamment, ont longtemps fait preuve d’une complaisance sans limites vis-à-vis du régime algérien, paré de toutes les vertus "révolutionnaires" et "socialistes", alors que, au même moment, le pouvoir marocain, "allié de l’impérialisme américain", était voué aux gémonies et dénoncé sans relâche. Pourtant les crimes de l’un n’avaient pas grand chose à envier à ceux de l’autre. Dans le cas de l’Algérie, il est évident que le régime a su remarquablement jouer sur le capital de sympathie acquis pendant la lutte pour l’indépendance auprès des milieux anti-colonialistes et anti-impérialistes. Les Français y ont évidemment rajouté un fort complexe "d’anciens colonisateurs", qui leur interdisait toute critique contre l’Algérie indépendante. J’ai moi-même entendu, en décembre 1986 à Valladolid, feu Yves Jouffa, président historique de la Ligue Française des Droits de l’Homme et ancien défenseur des détenus du FLN pendant la guerre de libération, me déclarer lors du congrès de la FIDH : "Ces gens que j’ai défendus dans leur combat pour la libération de l’Algérie ne peuvent pas être devenus les fascistes et les tortionnaires que vous décrivez !"… Oubliant au passage que plus d’un des tortionnaires français de militants algériens entre 1954 et 1962 avaient été des résistants français à l’occupation nazie.

En 1980, les acteurs du "Printemps berbère", dans leur diversité, étaient décidés à briser ce mur du silence. Ils avaient compris que le meilleur allié du pouvoir était cette chape de plomb qui avait prévalu jusque-là et que leur plus sûre protection contre la répression était l’écho international donné à leur protestation. A l’époque, c’était une véritable petite révolution car le sentiment nationaliste était tellement fort chez les Algériens de l’après-indépendance que beaucoup répugnaient à dénoncer les violations du droit et des droits de l’homme par ’leur’ Etat, surtout auprès de la presse française. Je crois me souvenir qu’Arezki Aït-Larbi, alors jeune étudiant en médecine, est l’un de ceux qui ont joué un rôle décisif dans cette nouvelle approche.

Personnellement, dès la fin 1979/début 1980, par des voies diverses, généralement étrangères au milieu berbériste et au "groupe de Tizi-Ouzou", j’ai pu très rapidement établir des relations de confiance avec de nombreux représentants de la presse internationale en poste à Alger (Le Monde, La Croix, AFP, Reuters…) et avec les grandes organisations internationales de défense des droits de l’homme, en premier lieu Amnesty International et, un peu plus tard, la FIDH. Il est certain que ma position d’universitaire m’a grandement facilité la tâche et conforté ma crédibilité, d’autant que j’avais tendance à être aussi mesuré et précis que possible car je disposais d’informations de sources diverses et pas uniquement du noyau "berbériste", notamment à travers mon frère Rachid qui avait longtemps milité au PRS. Plus d’une fois d’ailleurs, ce sont les observateurs étrangers eux-mêmes qui ont pris l’initiative de me contacter.

En tout état de cause, les acteurs du "printemps berbère" ont obtenu ce qu’aucune contestation ou opposition algérienne n’avait jusque là réussi : une couverture extraordinaire par la presse internationale pendant plusieurs semaines et une entrée en action des organisations comme Amnesty International. Il est aussi avéré que les relais de la militance kabyle, majoritairement FFS, en France et en Europe ont joué à plein dans la mobilisation extérieure des médias et de l’émigration kabyle. Cela a évidemment été permis par le développement considérable durant la décennie 1970 des réseaux militants kabyles et oppositionnels dans l’émigration, notamment estudiantine.

L’autre donnée nouvelle ‒ le caractère massif et populaire des protestations‒ a aussi été une nouveauté décisive, y compris sans doute par rapport au problème de la répression, sur lequel je reviendrai plus loin. Jusque-là, l’engagement pour la culture berbère était le fait de personnalités culturelles ou intellectuelles isolées, de groupes estudiantins plutôt circonscrits (université d’Alger, groupes estudiantins parisiens) et de quelques militants politiques comme feu Bessaoud Mohand Arab. Objectivement, leur/notre représentativité sociale était incertaine et leur/notre combat pouvait apparaître comme très élitaire et assez désespéré. On n’avait jamais vu jusque-là des étudiants nombreux, des lycéens, des ouvriers et salariés, des villageois…, toute une région se mettre en grève et manifester, affronter les forces de l’ordre pour exiger la reconnaissance de la langue et de la culture berbères. Or c’est bien ce qui s’est produit au printemps 1980. Pour la première fois dans l’histoire connue, des populations berbères se mobilisaient massivement et durablement pour la défense des paramètres de leur identité propre : leur langue et leur culture.

On comprendra aisément que pour moi, universitaire, linguiste, qui avait eu jusque-là une trajectoire plutôt solitaire d’érudit, l’évènement ait été un bouleversement profond. Mon engagement scientifique personnel pour la langue berbère se voyait en quelque sorte légitimé par la revendication de toute une population. Nous n’étions plus, moi et quelques rares autres, les "derniers des Mohicans" ou, pour reprendre la phraséologie des milieux dominants, les "représentants attardés de la politique berbère de la France", mais bien les éclaireurs lucides d’un peuple qui arrivait à la conscience de soi. La disparition des Berbères et de leur langue n’était plus une donnée inéluctable.

Au milieu de la tempête, une tragédie familiale


En juin 1980, après trois mois de manifestations, de grèves et d’affrontements en Kabylie et secondairement à Alger, intervient la libération des 24 "meneurs" déférés à la Cour de Sûreté de l’Etat et les poursuites sont suspendues contre toutes les personnes recherchées [11]. Cette phase d’apaisement est mise à profit par le "groupe de Tizi-Ouzou" pour organiser le séminaire de Yakouren [12], destiné à donner au mouvement sinon un programme, du moins des éléments de doctrine. Je n’y ai participé que très marginalement, à la fin de la rencontre. Jusqu’au 20 juillet, j’étais hospitalisé à l’Hôtel-Dieu de Paris pour des problèmes ophtalmologiques déjà anciens et, surtout, le 18 juillet survenait un accident de la route dramatique qui allait coûter la vie à mon frère Rachid et à trois autres membres de notre famille : sa femme Fatima, son fils âgé de 6 mois, Mennad, et notre mère. Le choc fut terrible, pour la famille comme pour tous ses proches. Tout particulièrement pour moi car j’étais très lié à mon jeune frère, au plan affectif bien sûr, mais aussi au plan politique : nous étions tous les deux depuis longtemps sur des positions très critiques vis-à-vis du régime algérien. Rachid, économiste, était plutôt marxiste et s’était engagé dans le PRS de Mohammed Boudiaf pendant ses études doctorales faites en France (à Grenoble), mais nous partagions largement, depuis l’adolescence, les mêmes engagements "berbéristes". C’était un garçon vif et intelligent, incisif et exigeant, vis-à-vis des autres comme de lui-même. Après sa thèse de doctorat, il avait été recruté en 1979 sur un poste d’enseignant en économie au Centre universitaire de Tizi-Ouzou, tout nouvellement créé. Il était également chercheur contractuel à l’Institut de Recherches en Economie Appliquée de Ben-Aknoun, alors dirigé par Abdelatif Benachenhou qui, je crois bien, avait été son professeur. A partir de sa "réimplantation" en Kabylie, il a été en quelque sorte "mon poisson-pilote" dans le milieu universitaire local, qu’il connaissait très bien, car beaucoup de ses collègues avait été ses camarades d’études à l’Université d’Alger (où il avait fait sa licence d’économie) ou en France et, parfois aussi, ses compagnons d’engagement politique.

Plusieurs correspondants de la presse étrangère, et bien sûr beaucoup de proches, m’ont demandé à l’époque si cet accident n’était pas "suspect", évoquant par là la possibilité d’un accident provoqué ou d’un assassinat déguisé en accident par les services secrets algériens. C’est une hypothèse que j’ai toujours exclue car les conditions concrètes [13] de cet accident étaient telles qu’il ne pouvait être ni programmé ni prévu par quiconque.

Après le choc et l’abattement initial, ce drame m’a plutôt galvanisé et a renforcé ma détermination et mon engagement dans la lutte en cours. Au fond, je travaillais aussi pour la mémoire de Rachid. J’avais aussi été fortement impressionné par la foule immense qui était venue à son enterrement au village et par les innombrables marques de sympathie et de soutien que, de toutes parts, on nous avait manifestées. Dans le deuil et la douleur, nous avions eu une expérience émouvante de solidarité d’un cercle d’amis et de relations très large. Dès le mois d’août (lettre du 16/08/1980), j’ai formellement demandé au ministre de l’Enseignement Supérieur, Abdelhak Bererhi, de me muter à l’Université de Tizi-Ouzou, en hommage à mon frère. Sa réaction officielle [14] est intervenue deux mois plus tard ; il m’a reçu le 25 octobre et, après les formules d’usages à propos de Rachid, il m’annonce que :
‒ "le problème de ma mutation à Tizi-Ouzou sera réglé d’ici dix jours, le temps de contacter les deux recteurs concernés ;
‒ Il fera appel à moi pour mettre en place un cadre de recherche en berbère."

J’ai un souvenir très précis des propos du ministre parce qu’ils étaient à la fois clairs et quelque peu "ampoulés", manifestant une certaine prudence dans la formulation de son engagement. En particulier, je suis absolument sûr qu’il n’a parlé que de "recherche", et n’a pas évoqué l’"enseignement". Ce n’est pas du tout anodin, car en tant que ministre de la Recherche scientifique, il pouvait effectivement assez aisément m’affecter à Tizi-Ouzou sur la base d’un projet de recherche, rattaché au CRAPE par exemple puisque j’y étais déjà sous contrat [15], sans envisager l’ouverture d’un enseignement et d’un diplôme de berbère, ce qui aurait eu une signification symbolique et politique bien plus considérable.

Le "front académique" : un engagement personnel intense.


Pendant toute cette période, qui débute en fait pour moi en juin 1979 et s’étend jusqu’à la fin 1981, j’ai joué, en pleine conscience, le rôle d’universitaire berbérisant de référence, Mammeri étant déjà à la retraite et, de plus, assez peu enclin par nature aux engagements publics ; nous avons cependant toujours précisément discuté ensemble de mes initiatives. J’ai donc porté "le versant universitaire" de la revendication en présentant régulièrement aux autorités (Universités d’Alger et de Tizi-Ouzou, Ministère de l’Enseignement Supérieur) des dossiers en vue de l’intégration du berbère à l’université. Mes propres démarches étaient confortées par celles du collectif des enseignants de l’université de Tizi-Ouzou, avec lequel j’étais en contact régulier : la stratégie, mise en place à la rentrée 1980, était d’exercer une pression parallèle et coordonnée sur le ministre de l’Enseignement supérieur d’alors, A. Bererhi, pour l’amener à concrétiser sa promesse, faite à plusieurs reprises aux représentants de l’université de Tizi-Ouzou et à moi-même, "d’ouvrir un cadre d’enseignement et de recherche en berbère à Tizi-Ouzou"
.
Quand on examine nos demandes académiques [16] de l’époque avec le recul du temps, elles ne peuvent qu’apparaître comme très modestes, voire dérisoires : il faudra pourtant attendre 10 ans (1990) pour que le premier département de berbère soit créé à Tizi-Ouzou et que le magister de langue et culture berbères soit enfin ouvert. Cela donne en contrepoint la mesure du degré de blocage et de fermeture du système politique FLN, incapable de la moindre négociation et compromis avec la société. Il faudra les émeutes d’octobre 1988, la fin du parti unique et la nouvelle constitution de 1989, c’est-à-dire un véritable ébranlement politique, pour que se dessine un début de décrispation.

Ayant été reçu personnellement plusieurs fois par A. Bererhi, au cours de cette période, j’ai tendance à penser qu’il était sans doute personnellement favorable à une solution d’ouverture. Mais il me paraît également évident qu’il faisait partie de ces "ministres techniques" dont le poids politique était limité, face aux orientations idéologiques lourdes du FLN. J’en vois une confirmation dans le fait que lorsque je l’ai rencontré en octobre ou novembre 1981, alors que quelques semaines auparavant, il me confirmait encore "sa volonté de me muter à l’Université de Tizi-Ouzou pour y mettre en place un cadre pour le berbère", il m’a déclaré tout net : "le Comité central du FLN s’est saisi du dossier et va engager d’ici le printemps un débat interne sur la culture, je ne peux donc rien décider tant que ce débat n’est pas tranché !" [17]. Je dispose d’un autre indice objectif de sa probable bonne volonté personnelle, en tout cas, de sa bonne disposition à mon égard : en 1983, alors que ma situation statutaire n’était toujours pas réglée [18], il a tenté de "trouver une solution à mon cas personnel" en me détachant à plein temps au CRAPE : je détiens encore l’arrêté signé de sa main, daté du 20 avril 1983 ( !), jour où il m’a reçu au ministère en présence de Y. Nacib.

Mais notre "stratégie académique" fut double : à la fin de l’année 1980, lorsqu’il nous est apparu que l’Enseignement supérieur "traînait en longueur", voire "nous menait en bateau" et ne se décidait pas à honorer ses promesses, nous décidâmes, d’ouvrir un "second front" en organisant une "pression par la base" sous la forme de meetings, cycles de conférences et "cours sauvages" partout où la mobilisation des étudiants le permettait. En fait, l’initiative avait déjà été lancée à Tizi-Ouzou dès la rentrée d’octobre 1980 et des cours "sauvages" réguliers s’y déroulaient sans problème particulier : il y avait sur place plusieurs enseignants déjà bien formés et expérimentés comme Ramdane Achab, Idir Ahmed-Zaïd… Je m’y rendais quasiment toutes les semaines et nous tenions des réunions techniques très studieuses de notre "Comité Provisoire pour l’Enseignement et la Recherche en Berbère" [19] sur les programmes et contenus des enseignements. J’ai notamment souvenir d’une séance du 29 janvier 1981, à laquelle participait une trentaine d’enseignants de Tizi-Ouzou, dont R. Stambouli, qui a envisagé une intégration de facto de ces enseignements dans les cursus officiels et la mise en place d’un magister. Pour ce qui est d’Alger, où les choses se mettent en place un peu plus tard, à partir du second semestre (en février 1981), il me semble me souvenir que cette forme d’action visait également à contourner les difficultés rencontrées par les collectifs de la région d’Alger à organiser de grands rassemblements sur la voie publique, les tentatives de manifestations étant durement et immédiatement réprimées à Alger. Il y avait donc un décalage net entre les possibilités d’action en Kabylie et à Alger et les enceintes universitaires apparaissaient comme pouvant permettre de maintenir une pression revendicative à Alger et de "désenclaver la Kabylie".

Ce fut alors, jusqu’au 19 mai 1981 lorsque les autorités décidèrent d’arrêter les principaux acteurs des collectifs étudiants algérois, un véritable florilège de conférences-débats dans de très nombreuses enceintes universitaires (facultés et écoles d’ingénieurs, cités universitaires…) de la région d‘Alger, avec une assistance toujours nombreuse (plusieurs centaines de personnes, voire plus d’un millier) et motivée : les débats et séances de questions-réponses étaient interminables. Il était difficile de répondre à la demande car des comités locaux étudiants se mettaient en place un peu partout, d’Alger à Boumerdes et nous demandaient l’organisation de conférences. Le clou fut certainement le "cours sauvage" de la Faculté des Lettres d’Alger-centre qui se tenait régulièrement dans le grand amphi bondé de l’immeuble historique de la vénérable institution. A l’une des séances (celle du 13 avril 1981), M. Mammeri m’avait accompagné et était intervenu, mais généralement je les ai assurées seul. Au meeting du 20 avril 1981 organisé à la Faculté centrale, nous eûmes l’immense honneur d’avoir à la tribune parmi nous Kateb Yacine, dont l’engagement historique pour tamaziγt ne s’est jamais démenti. L’initiative faisait rapidement tâche d’huile et des "cours sauvages" réguliers se mettaient en place ailleurs, à l’université scientifique de Bab Ez-Zouar, dans certaines écoles d’ingénieurs et autres établissements d’enseignement supérieur, à l’initiative de militants, souvent anciens étudiants de Mammeri [20].

C’est dans cette même dynamique que furent officiellement déposés les statuts constitutifs de deux associations culturelles, la première à Tizi-Ouzou, la seconde à Alger, dont l’objet était de "promouvoir les langues et cultures populaires". Il faut se souvenir qu’à l’époque le droit d’association, de fait, n’existait pas en Algérie puisqu’il était soumis au régime de l’agrément préalable [21] et que toutes les associations devaient se placer sous l’égide du parti unique (et donc obtenir son aval). En conséquence, depuis l’indépendance, aucune association culturelle travaillant dans le domaine berbère n’avait pu se constituer. Bien que portés par des noms prestigieux, ces projets [22] ne reçurent bien entendu aucune suite. Nous n’en fûmes pas surpris mais notre but était, comme dans l’enceinte de l’Université, de mettre les autorités au pied du mur en les contraignant soit à autoriser, soit à réprimer clairement nos initiatives pacifiques, et donc à "interdire la culture".

Je ne me rappelle pas d’affrontements ou de tentatives d’intervention de la police pour empêcher ces rassemblements, toujours pacifiques, qui tendaient à tisser en quelque sorte une "université berbère libre". Néanmoins la surveillance policière était permanente et la hiérarchie universitaire nous faisait régulièrement état de rapports très défavorables et de l’intervention imminente des forces de l’ordre pour mettre fin à ces rassemblements de "propagande politique". Il est certain que les hiérarques universitaires et ministériels, qui étaient dans leur grande majorité proches du FLN ou du courant "pagsiste" (ex-communistes ralliés au régime) ne voyaient pas d’un bon œil cette agitation "berbériste" et attendaient avec impatience l’intervention de la police. D’autres acteurs-témoins plus informés que moi pourront rappeler le contexte et les circonstances précises qui ont conduit aux arrestations de mai 1981 et à la fin de cette expérience. Il me semble me souvenir, sans pourtant pouvoir être tout à fait affirmatif, que ce fut une tentative de manifestation en dehors de l’enceinte universitaire, puis des heurts, sans gravité particulière, avec des groupes d’étudiants "arabistes" du FLN ‒ très certainement des agents provocateurs de la police ‒ qui a servi de prétexte à l’intervention des forces de l’ordre et l’arrestation des principaux membres du collectif des étudiants d’Alger [23] et de Bougie.

Pour ce qui me concerne en tout cas, je peux témoigner que je n’ai jamais été sérieusement inquiété à l’époque, ni par la police ou la justice, ni par ma hiérarchie universitaire qui aurait pu aisément engager contre moi une procédure disciplinaire puisque je m’étais, tout à fait formellement, mis en grève [24] et refusais d’assurer un quelconque service d’enseignement autre qu’en berbère et que j’occupais sans la moindre autorisation des locaux universitaires pour y donner des cours et conférences qui n’étaient prévus dans aucun cursus officiel.

Il est certain, là encore, que ma position d’universitaire, le caractère pacifique de mon action qui n’a jamais débordé du cadre et de l’enceinte universitaire, a été une protection efficace. Je dois aussi préciser que j’ai toujours pris soin à ne jamais participer à une quelconque réunion de type organique, ni avec les groupes de militants qui appartenaient à des partis politiques clandestins, ni même avec les collectifs étudiants, y compris ceux qui assuraient l’organisation de mes cours et conférences. Mes contacts avec les acteurs du terrain étaient toujours soit individuels, soit totalement publics (au moment des cours ou d’assemblées générales par exemple). Je m’étais sur ce point construit une doctrine absolument intangible : refuser toute action ou réunion clandestine et assumer publiquement et partout mes positions et engagements. C’est sans aucun doute l’une des clefs de compréhension de la "tolérance" dont j’ai fait l’objet : je défendais pacifiquement des idées que j’assumais publiquement. Dans une telle configuration, une arrestation, ou même une "interdiction professionnelle" comme cela se pratiquait alors beaucoup dans les pays "socialistes", eut certainement été d’un coût élevé pour le régime algérien : au-delà de l’impact symbolique interne qu’aurait pu constituer l’arrestation de l’universitaire berbérisant, les autorités algériennes craignaient sans doute l’écho international d’une telle mesure. J’ai pu très concrètement vérifier plusieurs fois par la suite combien les responsables algériens d’alors étaient encore sensibles à l’image extérieure du pays ; un simple article dans Le Monde, une dépêche de l’AFP a pu suffire à les faire renoncer à une mesure de rétention ou à une procédure judiciaire en cours [25].

Certes, comme bien des camarades, j’ai été soumis à une surveillance étroite ‒ celle du CRAPE était permanente ‒, certes on m’a "transmis" de nombreux messages m’annonçant une arrestation imminente, une convocation devant le juge, des sanctions disciplinaires, que "les plus hautes instances du parti exigeaient mon arrestation"… ; certes, j’ai été comme beaucoup "intercepté" à plusieurs reprises à l’aéroport d’Alger, à l’arrivée ou au départ [26], mais je n’ai jamais été à cette époque véritablement inquiété ou menacé. Et je dois dire qu’à chaque fois que j’ai eu affaire à la police algérienne et à ses plus hauts responsables, en 1980 et après, j’ai toujours été traité correctement et, jamais, à l’époque, je n’ai subi la moindre brutalité ou menace physique [27]. Cette donnée mérite d’autant plus d’être pointée qu’autour de moi les arrestations ont été nombreuses, en 1980-1981 comme plus tard en 1985, et très souvent accompagnées de sévices et mauvais traitements. Indiscutablement, les autorités ont pratiqué une répression sélective, assez intelligente, puisqu’on s’est gardé de s’en prendre à l’universitaire connu pour faire porter la pression sur les militants de base ou, surtout, sur les acteurs dont on savait ou supposait qu’ils appartenaient à des organisations politiques clandestines.

Cette volonté arrêtée d’assumer publiquement nos actions et opinions étaient largement partagée parmi tous les acteurs ; elle était même, chez certains, poussée à l’extrême [28]. Cette attitude, tout à fait nouvelle en Algérie, a dû sérieusement désarçonner les autorités et a dû constituer une protection efficace, au moins pendant un moment. Surtout, elle obligeait les autorités à s’engager sur un mode répressif embarrassant pour elles, habituées qu’elles étaient à "réprimer les complots" et les "organisations clandestines téléguidées de l’étranger" ; elle a permis de limiter au maximum les arrestations et détentions arbitraires extra-judiciaires, qui avaient été jusque là quasiment la règle en matière de répression de "délits politiques".

Aussi, au-delà de mon cas personnel, la répression du printemps 1980 n’a pas été aussi radicale et sanglante que l’on pouvait le redouter : que mes amis et compagnons de l’époque, mes parents, en particulier ceux qui on été arrêtés et/ou maltraités me pardonnent, mais si l’on juge à l’échelle de la longue durée, à l’échelle des pratiques antérieures et de celles qui suivront durant les décennies 1990 et 2000, il faut reconnaître que la contestation kabyle de 1980 a été réprimée avec une certaine mesure. Pour prendre un point de comparaison local, on est resté très loin des 128 morts du "printemps noir" de 2001. On peut donc aussi analyser cette gestion répressive "mesurée" comme la volonté de certains hauts responsables politiques de ne pas radicaliser une situation perçue comme potentiellement dangereuse. N’oublions pas que les Kabyles étaient très nombreux dans l’appareil d’Etat algérien, à tous les niveaux, ainsi que parmi les élites intellectuelles et technocratiques, et qu’une répression aveugle, non maîtrisée, aurait pu avoir des conséquences politiques profondes en provoquant une véritable rupture ethnique, et pousser massivement ces élites kabyles dans une opposition radicale à l’Etat algérien. Au fond, l’Algérie officielle n’a pu fonctionner et se maintenir entre 1962 et 1990 que parce qu’elle a su intégrer l’essentiel des élites kabyles, et éviter leur basculement dans une attitude oppositionnelle qui les aurait amenées à rejoindre en masse les opposants kabyles historiques au régime, Krim Belkacem et/ou Aït-Ahmed. Je suis personnellement persuadé que l’une des lignes d’action permanente des décideurs politiques et des services de sécurité algériens entre 1962 et 1989 a été d’empêcher, ou du moins de limiter au maximum, la jonction entre les élites kabyles et l’opposition historique kabyle. Cette théorie éclaire, si l’on réfléchit bien, la gestion globale du terrain berbère par l’Etat algérien.

Une période d’enthousiasme et de confusion


Certes, après la libération des détenus et autres gestes d’apaisements du pouvoir (en juin 1980), il y avait un enthousiasme extraordinaire, à l’Université comme parmi la population en Kabylie ; les grands rassemblements à Tizi-Ouzou réunissaient des dizaines de milliers, voire plus de cent milles personnes. Néanmoins des points de fragilité me sont apparus très tôt. Dès que j’ai pu reprendre le contact avec les principaux acteurs, j’ai pris conscience de certaines limites et problèmes structurels du mouvement. Il me semble important de préciser ici qu’il ne s’agit pas de ma part d’une analyse a postériori, trois décennies après les évènements, mais bien de réflexions et notations faites "à chaud", au moment des évènements.

D’une part, j’ai constaté, dès le mois de juin et surtout en septembre/octobre 1980, que le "groupe de Tizi-Ouzou" et beaucoup de mes proches, dont feu M. Mammeri, faisaient preuve d’une euphorie excessive ; la tendance était alors à considérer que la partie de "bras de fer" avec le pouvoir avait été gagnée. La libération des "meneurs" et l’arrêt des poursuites judiciaires étaient considérés comme un recul décisif des autorités ; pour bien des acteurs, tout paraissait désormais permis et possible. L’organisation, tout à fait tolérée, du séminaire de Yakouren était un signe tangible de ce nouveau rapport de forces. En particulier, tous pensaient que l’ouverture d’un enseignement de berbère à Tizi-Ouzou et à Alger était une chose acquise : j’ai le souvenir précis de vifs échanges à ce sujet avec Mouloud Mammeri (dès juin 1980) et Saïd Sadi (en septembre 1980). Une rumeur, très certainement distillée par les services de sécurité, circulait avec insistance, annonçant la création imminente d’un département de berbère à Alger et Tizi-Ouzou. Beaucoup considéraient donc que les "objectifs universitaires" étaient déjà dépassés et qu’il fallait désormais élargir la lutte à des revendications démocratiques plus fondamentales, remettant en cause le système FLN. L’avenir allait montrer combien cette perception était illusoire et relevait purement et simplement de l’intoxication policière et/ou de l’auto-intoxication. Certes, je ne prétends pas que cette erreur d’appréciation de la situation ait été absolument condamnable, car il faut se replacer dans le contexte de l’époque : effectivement, c’était bien la première fois que le régime algérien reculait devant un mouvement revendicatif et acceptait la "négociation" avec les contestataires. On pouvait donc, dans l’euphorie d’une victoire apparente, penser que les temps étaient venus d’une action et d’objectifs politiques plus ambitieux.

Personnellement, si j’étais beaucoup plus prudent dans mon évaluation de la situation, c’est à la fois parce que :
‒ J’avais observé que le discours officiel (notamment la presse) n’avait absolument pas changé sur le fond, sa phraséologie évitant toujours soigneusement toute reconnaissance du berbère et/ou d’un mouvement revendicatif extérieur au système ;
‒ La gestion globale de la crise par les autorités était manifestement de type "manipulatoire" et de "contournement" : en réponse à la revendication, on lançait par exemple un "débat sur la culture" dans le cadre du parti unique FLN, ce qui impliquait que le monopole et les options de celui-ci prévaudraient au final ;
‒ Enfin, à partir de la rentrée, j’observais, au fil des semaines qui passaient, que l’engagement du ministre de l’Enseignement Supérieur de "me muter à Tizi-Ouzou" ne se concrétisait pas. Or, dans l’ordre des pouvoirs et prérogatives d’un ministre, une telle décision individuelle était normalement une « broutille » qui aurait pu être prise en quelques jours même en respectant scrupuleusement le formalisme des procédures.
Très vite, pour moi il n’a pas fait de doute qu’il y avait une résistance politique sérieuse et que rien n’était acquis. Ce que la suite des évènements allait rapidement confirmer.

Je sais bien que beaucoup d’amis et camarades de Tizi-Ouzou et d’Alger, même très proches, pensaient qu’en prônant une ligne centrée sur les objectifs universitaires, je défendais alors avant tout des intérêts personnels. Ce en quoi ils se sont trompés lourdement, quant à mes motivations d’abord, mais surtout quant à l’évaluation des rapports de forces réels. Dès cette période (septembre/octobre 1980), mes analyses et appréciations personnelles ont commencé à diverger nettement avec celles du "groupe de Tizi-Ouzou", en particulier Saïd Sadi qui avait une tendance très marquée à minimiser le rôle de l’Université et à opposer les attentes de la "population" à celles des "universitaires", "objectifs à longs termes" et "objectifs limités et sectoriels"...

D’autre part et concomitamment, les faiblesses organiques et "doctrinales" du mouvement apparaissaient au grand jour. A vrai dire, vu le contexte global, elles étaient sans doute inévitables : l’absence de vie démocratique ne permettant pas aux différents courants et sensibilités de s’exprimer et de se positionner clairement l’un par rapport à l’autre, dans le cadre d’un jeu politique pluraliste. Il s’agissait en fait d’un large mouvement de masse, peu structuré, initié par des "minorités agissantes" : un noyau dur FFS à Tizi-Ouzou autour de Saïd Sadi, des militants du PRS, des militants d’extrême-Gauche, des militants "indépendants" de la culture berbère, des collectifs universitaires fluctuants, où tous ces courants pouvaient être représentés. A tout moment, il a donc été extrêmement difficile de fixer à la protestation des objectifs clairs et consensuels, autres que ceux qui constituaient le "minimum dénominateur commun", notamment la lutte contre la répression et pour la libération des personnes arrêtées. Immanquablement, des divergences au sein des collectifs sont très vite apparues, limitant les capacités de réaction et de mobilisation, favorisant l’activisme et la surenchère. Bien entendu, l’infiltration policière n’a pas dû arranger les choses !

Une autre faiblesse liée à cette configuration plutôt confuse tient au fait que beaucoup d’intellectuels kabyles, surtout algérois, ont été très réticents à s’engager dans un mouvement, où, de façon notoire, agissaient des partis politiques clandestins. La crainte de la manipulation et de la récupération partisane, en particulier par le FFS qui était clairement en position hégémonique dans le mouvement, était omniprésente ; j’ai eu à Alger de longues et difficiles discussions à ce sujet. Personnellement, je ne considérais pas que la présence des "politiques" était illégitime et elle ne m’a jamais empêché de collaborer avec tous, à partir du moment où j’assumais mes propres positions publiquement. En tout cas, cette donnée a sérieusement limité l’engagement des intellectuels et a certainement contribué à l’isolement et au repli progressifs de la contestation sur la seule Kabylie. Il est évident que ces réticences des intellectuels quant à la présence de partis politiques d’opposition dans le mouvement étaient aussi motivées par le fait que c’était un facteur qui aggravait singulièrement le risque répressif, l’appartenance à (ou le lien avec) une organisation politique clandestine relevant alors directement de la Cour de sûreté de l’Etat !

Une expérience personnelle forte


Chaque fois que je me suis déplacé pour une conférence-débat sur la langue berbère j’ai été profondément ému par l’accueil toujours chaleureux et attentif que je recevais partout, dans l’Algérois, en Kabylie. J’ai pris conscience à ce moment-là d’une réalité assez spécifique à la Kabylie, soulignée d’ailleurs par un observateur extérieur, Mohammed Harbi : la (relative) symbiose qui existe dans cette région entre la population, même rurale voire analphabète, et ses élites. On peut souvent y faire l’expérience d’un fort sentiment d’appartenance à une même communauté, quel que soit le niveau socioculturel et le statut des personnes.

Il est certain que cette mobilisation populaire durable et profonde, cette immersion dans la "Kabylie profonde" fut une révélation pour moi : quelles qu’aient été les circonstances personnelles et globales, mon engagement pour le "droit à l’existence berbère" en a été définitivement consolidé et, surtout, je me suis toujours efforcé de rester, à travers mes écrits, l’analyste lucide des conditions même de cette "pérennité berbère". C’est cette relation intense avec une région qui m’a immédiatement amené à considérer qu’il était de ma responsabilité particulière d’intellectuel kabyle de témoigner de cette lutte, d’essayer d’en comprendre les ressorts, déterminations et limites. C’est ainsi que je décidais de décrire et analyser les évènements et dynamiques auxquelles je participais ou que j’observais. Pour être tout à fait clair, je précise que ma perspective a toujours été éminemment politique ; il ne s’est jamais agi pour moi d’un quelconque "retour au peuple" romantique, mais de faire tout ce que je pouvais pour sortir cette lutte berbère kabyle des ornières et occultations qui avaient celles de l’engagement sans condition de nos parents dans le mouvement national algérien, de la crise berbériste de 1948-49, de l’insurrection armée du FFS en 1963 et de bien d’autres épisodes où les Kabyles ont servi des intérêts "extérieurs", en sacrifiant les leurs propres. En un mot, il s’est toujours agi de dépasser le "complexe kabyle" et de construire une "ligne politique berbère" autonome. C’est dans cette perspective que j’ai très vite commencé à publier en France, dans des supports académiques de référence (Annuaire de l’Afrique du Nord, Revue de l’Occident Musulman et de la Méditerranée, Les Temps Modernes…) des textes d’analyse sur le mouvement berbère. Et c’est dans la même lignée que j’ai initié en 1983 la série Tafsut - Etudes et Débats qui se voulait, à côté de la série "normale" de Tafsut plus liée à l’actualité des luttes du terrain, un lieu de réflexion pour les intellectuels acquis à la défense de l’identité berbère. Cela n’a pas été sans mal et cela ne m’a pas valu que des amis, y compris parmi mes proches de l’époque, tant il vrai qu’une telle attitude constitue une remise en cause de toute la culture politique algérienne et qu’elle oblige à considérer sans complaisance les actions passées et nos actions présentes, rompant ainsi avec "l’activisme" ambiant. C’est aussi ce qui m’a amené, beaucoup plus tard, à défendre l’idée de l’autonomie de la Kabylie, parce qu’elle m’apparaît comme étant une condition sine qua non de cette survie berbère.

*

Le "Printemps berbère" de 1980 n’a certes pas permis d’avancées institutionnelles immédiates en matière de langue et de la culture berbères – il faudra attendre encore dix ans pour que dessinent les première évolutions concrètes sur ce terrain –, mais il a été la première lézarde dans le système FLN qui étouffait le pays ; il a libéré la parole et l’action et, surtout, il a remis en cause le "tabou berbère" qui pesait, non seulement sur l’Algérie, mais aussi sur toute l’Afrique du Nord et une grande partie de l’opinion intellectuelle, locale et internationale.

Il y a quelques années, un observateur de l’extrême-Gauche français m’a qualifié "d’idéologue du berbérisme" ; plus récemment, un universitaire algérien bien en cour m’a traité de "Kaiser du berbère donnant ses instructions de Paris". Je considère ces qualificatifs comme des compliments. Ils attestent que j’ai été fidèle à mes engagements et que j’ai rempli le contrat moral et politique que je m’étais fixé depuis mon adolescence et que le "Printemps berbère" de 1980 est venu conforter, enraciner définitivement.




Notes

[1] Professeur des Universités (berbère), Université de Provence / Inalco (salem.chaker@inalco.fr

[2] Je pense, entre autres, à mon ami Rachid Bellil, certainement l’un des meilleurs anthropologues algériens, que je connais depuis 1963.

[3] Alors que la grande majorité des camarades kabyles de l’époque avaient un net tropisme "scientifique" et poursuivront leurs études en sciences exactes, technologie ou médecine.

[4] Les premières années, à peine plus de 5 personnes, parmi lesquelles, si ma mémoire ne me trahit pas : Mouloud Lounaouci, Mustapha Benkhemou, Amar Zentar, Rachid Bellil…

[5] Ce cours était rattaché à la section d’ethnologie. Mammeri lui-même m’a maintes fois affirmé que c’est Ahmed Taleb, ministre du gouvernement issu du coup d’Etat du 19 juin 1965, qui lui a demandé par un coup de téléphone à la rentrée d’octobre 1965, d’assurer ce cours facultatif qui perdurera jusqu’en 1973 ; il y sera mis fin avec la réforme de l’Enseignement Supérieur qui consacra la disparition définitive de l’ethnologie, condamnée comme "sciences coloniale", dans l’Université algérienne.

[6] Le système dérivationnel verbal berbère (dialecte kabyle), Université de Paris V - EPHE, Sorbonne, 1973, 2 vol., sous la direction de Lionel Galand. Il s’agissait de la première thèse de linguistique berbère soutenue par un Algérien. Avant moi, Youcef Nacib avait soutenu une thèse Doctorat de 3e Cycle consacrée à la littérature, intitulée : Poésies spontanées du Djurdjura. Etude ethnolinguistique et traduction, Université Paris III (sous la direction d’André Adam), 1971.

[7] Qui était à l’époque sous-directeur des Lettres et Sciences Humaines à l’Enseignement Supérieur. Il deviendra plus tard directeur de l’Office des Publications Universitaires.

[8] ’La revendication culturelle berbère’, Les Temps Modernes, n° 432-433, 1982 (voir l’annexe) ; Berbères aujourd’hui/Imazighen ass-a, Paris, L’Harmattan/Alger, Bouchène, 1989 (1ère édition), voir l’annexe du chap. 9, "Le berbère dans l’Université algérienne".

[9] Les Temps modernes, n° 432-433, 1982 ; "Algérie : espoirs et réalités".

[10] A l’occasion de la parution de son ouvrage Poèmes kabyles anciens, Paris, Maspéro/La Découverte, 1980.

[11] De nombreux acteurs de la contestation, notamment des universitaires, qui n’avaient pas pu être arrêtés le 20 avril étaient entrés en clandestinité et étaient recherchés par la police. Ce fut le cas de mon frère Rachid. Grâce à des amis très sûrs, j’ai pu d’ailleurs maintenir le contact avec lui pendant sa fuite. Personnellement, j’ai pu prendre l’avion, sans encombre, le 21 ou le 22 avril pour la France avec ma famille. J’y suis resté jusqu’à la fin mai. C’est au cours de ce séjour que j’ai établi mes tout premiers contacts avec Amnesty International à qui j’ai transmis des listes de noms de personnes arrêtées ou recherchées.

[12] Dont les actes sont parus sous le titre : Algérie : quelle identité ? Actes du séminaire de Yakouren, août 1980, Paris, Imedyazen, 1981.

[13] Mon frère se rendait de nuit à Tizi-Ouzou, pendant la période de Ramadhan ; son véhicule a été heurté vers minuit par un train de marchandises (non éclairé) sur un passage à niveau non gardé qui traversait à l’époque la voie rapide (devenue plus tard une autoroute) au niveau de Rouiba. Le train venait de la cimenterie de Meftah et ne circulait que la nuit. Comme beaucoup d’entre nous, mon frère devait être persuadé que cette voie ferrée, qu’il connaissait nécessairement bien puisqu’il empruntait cette route quasiment chaque semaine, était désaffectée.

[14] Des réactions officieuses, positives, m’étaient déjà parvenues.

[15] Je rappellerai que depuis plusieurs années déjà, sous l’aura protectrice de Mouloud Mammeri, nous étions plusieurs à mener au CRAPE des recherches sur la littérature et la langue berbères, de manière très discrète certes, mais tout à fait officielle puisqu’en tant qu’universitaires nous bénéficiions du statut de chercheurs contractuels (et de primes afférentes) sur la base d’un programme avalisé par les instances de la recherche algérienne, l’ONRS à l’époque, qui était sous l’autorité du ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique.

[16] On en trouve une synthèse dans Algérie : quelle identité ? Actes du séminaire de Yakouren, 1981, p. 101-103. Sur le détail de ces démarches et pressions coordonnées, voir aussi l’annexe de mon articles des Temps modernes (432-433, 1982) ou celle du chap. 9 de mon Berbères aujourd’hui/Imazighen ass-a, 1989 (1ère édition).

[17] Ce débat, qui fait suite au "débat national sur la culture" officiellement annoncé en 1980, aura effectivement lieu au printemps 1981 et débouchera sur les "Résolutions sur la culture du Comité central du FLN", en juillet 1981.

[18] J’étais déjà Professeur associé de berbère à l’Université de Provence à Aix, mais j’étais encore en poste à l’Université d’Alger où je continuais à refuser d’assurer tout autre enseignement qu’en berbère.

[19] Formellement mis en place à l’occasion d’une AG qui s’est tenue le 19 janvier 1981.

[20] Je crois me souvenir notamment d’un cours assuré par Mustapha Benkhemou.

[21] Ordonnance 71-79 du 03/12/1971.

[22] L’association d’Alger ("Amuggar"), dont les statuts furent déposés par mes soins le 15 mars 1981, avait pour fondateurs : Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Mohammed Benhamadouche (Ben Mohammed), Abderrahmane Bouguermouh, Nadia Mecheri, Zhor Zerari, Tahar Djaout, Mohammed Issiakhem, Mohammed-Idir Aït-Amrane, Slimane Benaïssa, Hocine Merabia,, Mahiedine Djender, Mohamed Guerfi et Salem Chaker.

[23] Dont Arezki Aït-Larbi qui avait été mon "contact" permanent et la cheville ouvrière de ces "cours sauvages".

[24] Par un courrier du 10/12/1980, j’ai annoncé à ma hiérarchie universitaire et au ministère que je n’assurerai aucun enseignement si ce n’est en berbère. Il me semblait inconcevable, après ce qui venait de se produire au printemps, d’accepter d’enseigner la linguistique générale ou le français alors que j’étais titulaire de deux doctorats en linguistique berbère et que le ministre en personne m’avait promis de mettre en place un cadre pour le berbère à Tizi-Ouzou.

[25] Ce fut notamment le cas en février-mars 1985 lorsque je fus inculpé pour "diffusion de documents subversifs", intercepté à mon arrivée à l’aéroport d’Alger et retenu jusqu’à la parution de l’information dans Le Monde et la presse française.

[26] On m’a même fait redescendre de l’avion en juin 1980 alors que je me rendais à Paris pour une hospitalisation (j’avais déjà depuis plusieurs années de graves problèmes ophtalmologiques).

[27] Les menaces physiques viendront beaucoup plus tard, à partir de 2001. Mais le contexte est tout autre.

[28] J’ai encore en mémoire le souvenir visuel d’Arezki Aït-Larbi distribuant aux gendarmes de la caserne de Tizi-Ouzou des tracts d’appel à rassemblement, "afin que nul n’en ignore" !

source : tamazgha.fr
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