Musique : Iness Mezel, "Beyond The Trance"

Les noces entre le rock et les musiques berbères se sont multipliées au cours de la décennie passée, comme en témoigne l'éclatante santé du rock touareg. Mais elles sont plus rares quand il est question des musiques kabyles, et plus encore lorsqu'elles sont le fait d'une chanteuse. Grandie un pied de chaque côté de la Méditerranée, entre l'Algérie, l'Auvergne et la banlieue parisienne, Iness Mezel, alias Fatiha Messaoudi, était certainement destinée à pareille aventure musicale. Mais, de son propre aveu, celle-ci n'aurait pu prendre forme sans sa rencontre avec le producteur Justin Adams. « Saint-Aujustin », comme elle le désigne avec malice dans les notes de pochettes.



Récent guitariste de Robert Plant et producteur des premiers albums de Tinariwen, Adams signe là l'une de ses productions les plus abouties : malgré la densité des strates instrumentales, tout respire, tout s'entrecroise et s'ajoute sans se caramboler. Les percussions nord africaines (bendir, karkabou, derbouka) balancent un intense feu polyrythmique à laquelle une section rock experte ajoute une solide pulsation binaire ; les instruments acoustiques (guitare, banjo, guembri, tehardent, kora), forment un paysage mouvant sur lequel trône une guitare saturée aux riffs juteux. Les langues se superposent également, Iness alternant entre français (la majorité des titres) et berbère (sur des textes du poète Si Mohand).

Aussi intelligente soit-elle, une production ne fait pas un bon disque. Mais, outre sa voix souple et puissante, Iness Mezel a apporté un lot de chansons d'une redoutable efficacité, à commencer par le trio de tête, Amazone, véritable déclaration d'intention avec son entêtant « Je ne fais rien comme tout le monde », Cheikh Mo-Hand, et Semer, déferlantes de rythmes trépidants et de mélodies fluides qui mériteraient bien des passages radio. Quelques plages plus méditatives, mais toujours habitées, s'insinuent, avant que la transe mentionnée dans le titre ne reprenne ses droits avec Chez Noo, intelligent message sur le multiculturalisme, et le bien nommé Trance. Une vraie réussite, à même de ravir le corps et l'esprit.

Bertrand Bouard