A plus de 240 km dans le désert au sud-ouest de Tripoli, Nalut, petite localité berbère, vit entre peur et espoir: elle est l'une de ces "villes libérées" de l'ouest libyen, dans la chaîne montagneuse des Nafusa, près de la frontière tunisienne. Mais à tout moment, elle craint d'être reprise par les forces fidèles au régime de Kadhafi.
Alors les hommes de la ville se sont organisés. Armés de couteaux, de fusils, ils se sont installés dans un bâtiment inachevé, en béton, destiné à devenir un jour un hôtel. Ils couchent sur des matelas, boivent du thé, et se relaient pour monter la garde et surveiller la route qui mène à Tripoli, scrutant les signes éventuels d'une attaque, qui peut survenir à tout moment.
Ils constituent la première ligne de défense de leur ville de 18.000 habitants, loin de tout, dans le désert du nord-ouest de la Libye, qui s'est débarrassée des autorités pro-Kadhafi. "Nalut libérée", peut-on lire sur des murs de la ville.
"Les jeunes ici ont perdu tout espoir en ce pays", lance Mustafa, un fonctionnaire de 37 ans qui refuse de donner son nom de famille, de crainte des représailles. "Alors quand le soulèvement a commencé, nous avons pris toutes les armes que nous pouvions trouver et nous avons repris notre ville."
Le coeur de la rébellion libyenne est sur le long de la côte méditerranéenne, où vit la majorité de la population de six millions d'habitants. Près de la moitié de la côte est du pays a fait sécession et le régime du colonel Kadhafi ne contrôle plus que la capitale, Tripoli, et les villes environnantes de l'ouest.
Mais l'insurrection fait aussi rage dans ce secteur de la Libye, peu peuplé, de l'arrière-pays, situé à 240 kilomètres au sud-ouest de Tripoli. Un journaliste d'Associated Press a passé deux jours avec les "révolutionnaires" auto-proclamés à Nalut, une des villes "libérées" de la chaîne montagneuse des Nafusa, proche de la frontière tunisienne.
Le point de passage frontalier, à 68 kilomètres de Nalut, est passé brièvement sous contrôle des forces anti-Kadhafi, quelques jours. Mais les unités militaires pro-Kadhafi ont lancé une offensive lundi et l'ont repris.
Cette opération, et la présence d'une base de l'armée un peu plus au nord, fait craindre à Nalut qu'une offensive se prépare sur la ville.
Lundi, les habitants travaillaient donc avec acharnement à organiser leur défense. A l'entrée de la ville, au bulldozer, ils ont empilé de la terre et des pierres afin de dresser un barrage. D'autres ont creusé des tranchées pour que ceux qui se préparent à défendre Nalut puissent se protéger.
Epuisés, les visages marqués par la peur, les chefs de la rébellion, installés dans l'ancien bâtiment des services de renseignements -désormais un centre communautaire- ont téléphoné à d'anciens officiers acquis à leur cause, essayant de recueillir des informations sur les mouvements des unités pro-Kadhafi.
"Nous n'avons que des Kalachnikov", hurle un homme dans le téléphone. "Que crois-tu que nous pouvons faire avec ça?"
Plus à l'est dans la chaîne des Nafusa, l'armée est passée à l'offensive lundi soir, attaquant Zintan, autre "ville libérée". Les soldats, à bord d'une vingtaine de véhicules équipés d'armes lourdes, ont lancé l'assaut, mais ils ont été repoussés par des habitants armés et des militaires ralliés à l'opposition, selon deux habitants de la ville.
"Nous n'abandonnerons pas, quelle que soit la forme de terrorisme" utilisée par Kadhafi, a déclaré un homme à Zintan. "A partir de maintenant, le peuple n'acceptera plus que la liberté et un Etat démocratique".
Au moins trois autres localités de ces montagnes, habitées par la minorité ethnique berbère de Libye, sont également passées aux mains de l'opposition, selon des habitants de Nalut en contact avec leurs camarades.
Aujourd'hui, Nalut, posée dans une vallée étroite et accidentée de l'ouest des Nafusa, ressemble à une ville-fantôme. Les volets en métal vert et blanc des magasins sont fermés depuis des jours. Et les femmes et les enfants ne sortent plus dans les rues.
Les bâtiments gouvernementaux et les postes de police ont été incendiés par des manifestants le 19 février, au début de l'insurrection. Certaines unités de l'armée et de la police dans la ville ont rejoint les rebelles, alors que les fidèles de Kadhafi prenaient la fuite.
"Le nombre (de manifestants) était si important", se souvient Shaaban Abou Sitta, avocat qui habite à Nalut, que les forces pro-Kadhafi "se sont enfuies. Elles ne voulaient pas tirer sur nous, mais elles ont tiré en l'air, et quand elles ont vu nos effectifs, elles se sont enfuies. Il y a eu des affrontements avec des jets de pierres", a-t-il ajouté.
"La seule façon pour l'armée de nous reprendre, c'est d'envoyer beaucoup d'unités, ce qui est impossible parce qu'actuellement, le régime n'a pas les effectifs suffisants, et ils sont tous concentrés sur Tripoli", a-t-il souligné, considérant que les montagnes protègent la localité.
Désormais, les insurgés de Nalut ont pris l'organisation de la vie quotidienne en mains, sous la direction d'un conseil communautaire rassemblant personnalités locales et habitants. Et ils attendent des nouvelles de Benghazi, le centre de l'insurrection dans l'est, pour que, ajoute Abou Sitta, "nous et les autres frères dans l'Ouest commencions à faire mouvement pour libérer Tripoli".
source: nouvelobs.com