Face à un régime en crise, la voie pacifique empruntée jusque-là par les activistes a atteint ses limites.
À la faveur du «printemps arabe», les Berbères d'Afrique du Nord marquent des points. Au Maroc, leur langue vient d'être reconnue langue officielle par la Constitution au même titre que l'arabe. En Tunisie, la «révolution du jasmin» leur a rendu une visibilité tranquille mais déterminée. En Libye, ils sont au cœur de la rébellion et espèrent retrouver leur identité dans un pays libéré de la dictature du colonel Kadhafi.
En Algérie, le mouvement berbère est dans l'impasse. À la pointe du combat, la Kabylie brisait le mur de la peur, en avril 1980, en exigeant bruyamment la reconnaissance de sa langue et de sa culture, opprimées par l'arabo-islamisme. Ce «printemps berbère» fera de la région rebelle un bastion des luttes pour la conquête des libertés.
Après les émeutes sanglantes d'octobre 1988, le pouvoir concède une «ouverture démocratique» contrôlée. Alors que l'Algérie se donne majoritairement au FIS, la Kabylie marque sa singularité par le choix de deux partis laïques : le FFS, de l'opposant historique Hocine Aït Ahmed, et le RCD de Saïd Sadi, l'animateur du Mouvement culturel berbère. Avec la guerre civile des années 1990, la «Petite Suisse», divisée, est contrainte au rôle de supplétif. Si le RCD s'allie à l'armée contre le «fascisme vert», le FFS choisit le FLN et le FIS pour «défendre le choix du peuple».
Avec le président Bouteflika, la région rebelle sera sacrifiée sur l'autel d'arrangements claniques, au nom de la «réconciliation nationale». L'opération de mise au pas commence en avril 2001, par la mort d'un lycéen, tué par une rafale de Kalachnikov dans les locaux de la gendarmerie. La population dénonce le crime et manifeste sa colère dans la rue ; les forces de l'ordre tirent dans le tas. Bilan : 126 morts et des dizaines de blessés. Aux partis politiques impuissants et discrédités s'est substitué le Mouvement citoyen des Aarchs («tribus»), une organisation ancestrale ressuscitée pour l'occasion, mais dont certains chefs influents roulent pour les services secrets.
Zone de non-droit
En 2002, la reconnaissance du berbère comme langue nationale brise un tabou symbolique ; sur le terrain, elle n'aura aucune incidence concrète. Parallèlement, une politique volontariste de déplacement de populations arabophones vers Tizi-Ouzou, la capitale régionale, tente de diluer les spécificités de la culture locale. Terroristes «repentis» indésirables dans leur douar d'origine, repris de justice, recasés des bidonvilles et marginaux ramenés d'ailleurs feront de la cité-dortoir de la Nouvelle-Ville un cloaque de délinquance, de violence et de trafics en tous genres. Dans ce fief salafiste, des moines-soldats, ont déjà imposé de nouvelles «traditions» au détriment de la culture et de la langue kabyles.
De la diversité revendiquée comme «une richesse dans une Algérie plurielle», les Kabyles sont contraints, par la répression et les manipulations, à l'isolement et au repli communautaire. L'idée d'une large autonomie lancée, en juillet 1998, par un groupe d'intellectuels, est reprise, en juin 2001, par un noyau de militants, qui créent le Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie. Si le «divorce à l'amiable avec l'Algérie » séduit une frange importante de la jeunesse élevée dans le culte de la «résistance au pouvoir central », l'idée est déjà plombée par le discours approximatif des dirigeants de ce mouvement qui tombent parfois dans la surenchère indépendantiste. Avec la proclamation, en juin 2010 à Paris, d'un «gouvernement provisoire kabyle» en exil qui navigue à vue, sans ancrage dans le terroir, le MAK suscite la méfiance des militants les plus actifs.
Politiquement neutralisée, la Kabylie est devenue une poudrière. Cette zone de non-droit est livrée à la délinquance et au «terrorisme résiduel». Face à un régime en crise, la voie pacifique empruntée jusque-là par les activistes a atteint ses limites. À court terme, les provocations récurrentes et l'absence de perspectives risquent de pousser une jeunesse impatiente vers des choix extrêmes.
source : figaro